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CRITIQUE DE L’IDÉE DE SANCTION.

Cette première position est, croyons-nous, la plus difficile que l’on puisse prendre dans l’examen de la question. — Il en est une seconde, tout opposée, où un autre philosophe s’est placé, et que nous devons examiner pour être complet : rejeter tout à fait le châtiment, s’efforcer pourtant de maintenir un rapport rationnel entre le mérite et le bonheur[1].

Cette doctrine renonce à l’idée kantienne qui fait du mérite la conformité à une loi toute formelle. L’univers est représenté comme une immense société, où tout devoir est toujours un devoir envers quelqu’un d’actif, de vivant. Dans cette société, « celui qui aime doit être aimé ; » quoi de plus naturel ? Dire que l’homme vertueux mérite le bonheur, « c’est dire que toute bonne volonté lui veut du bien en retour du bien qu’il a voulu. » Le rapport du mérite au bonheur devient alors « un rapport de volonté à volonté, de personne à personne, un rapport de reconnaissance et ronséquemment de fraternité et d’amour moral[2]. » Ainsi, dans l’idée de retour et de reconnaissance, on trouverait le lien cherché entre la bonne action et le bonheur. L’amabilité, tel serait le principe nouveau de la sanction, principe qui, tout en excluant le châtiment, suffirait à justifier une sorte de récompense ; non matérielle, mais morale. Remarquons-le, cette sanction n’est pas valable pour un être que, par hypothèse, on considérerait comme absolument solitaire ; mais, suivant la doctrine que nous examinons, il n’existe nulle part d’être semblable ; on ne peut pas sortir de la société parce qu’on ne peut pas sortir de l’univers : la loi morale n’est donc au fond qu’une loi so-

  1. M. Fouillée, La liberté et le déterminisme.
  2. Ibid.