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DIVERS ESSAIS POUR JUSTIFIER L’OBLIGATION.

son idéal, conséquemment se rabaisser soi-même ; c’est une erreur qui peut devenir une faute. Celui qui a un dieu devrait le respecter trop pour en faire un créateur du monde.


II. — Le refuge de l’optimisme, c’est l’immortalité personnelle, qui serait la grande excuse de Dieu. La croyance en l’immortalité supprime tout sacrifice définitif, ou du moins réduit ce sacrifice à peu de chose. Devant l’infinité de la durée, la souffrance ne paraît plus qu’un point, et même la vie actuelle tout entière diminue étrangement de valeur.

L’idée du devoir absolu et celle de l’immortalité sont intimement liées : le devoir présent à la conscience constitue pour les spiritualistes la marque distinctive de l’individu dans le flux des générations animales, son sceau de souveraineté, son titre à une place à part dans le « règne des fins. » Si au contraire le devoir absolu se ramène à une illusion, l’immortalité perd sa principale raison d’existence, l’homme devient un être comme un autre ; il n’a plus la tête dans une lumière mystique, comme le Christ sur la montagne, qui se transfigurait en s’élevant et apparaissait de niveau avec les prophètes divins planant dans le ciel. Aussi l’immortalité a-t-elle toujours été le principal problème de la morale comme de la religion. On l’avait mal posé autrefois en le confondant avec celui de l’existence de Dieu. Au fond, l’humanité se soucie assez peu de Dieu ; pas un martyr ne se serait sacrifié pour ce solitaire des cieux. Ce qu’on voyait en lui, c’était la puissance capable de nous rendre immortels. L’homme a toujours voulu escalader le ciel, et il ne le peut pas tout seul : il a