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la sanction dans la société avec les dieux.

la terre, mais il devait toujours donner, en fin de compte au « principe du bien » la victoire sur le « principe du mal. » Ce qui lui répugne le plus à croire, c’est que le fond des choses soit indifférent au bien comme au mal : il supposera volontiers une divinité colérique, capricieuse, méchante même parfois, avec des retours au bien ; il ne peut comprendre une nature impassible et froide.

Les plus puissants des dieux ont servi ainsi à mettre d’accord, pour l’esprit humain, la force et la justice, une justice barbare appropriée à l’esprit des premiers hommes.

Grâce à l’idée de sanction entée sur celle de providence, la religion prend un caractère vraiment systématique ; elle vient se rattacher aux fibres mêmes du cœur humain. Devenus les instruments du bien dans l’univers, les dieux, au moins les dieux souverains, servent à rassurer notre moralité, ils deviennent en quelque sorte la moralité vivante. Leur existence n’est plus seulement constatée physiquement, elle est justifiée moralement par l’instinct social qui s’y attache comme à sa sauvegarde suprême. Le pouvoir des dieux devient légitime. La royauté divine, comme la royauté humaine, exige une certaine consécration mystique ; c’est la religion qui sacre les rois des hommes, mais c’est la morale qui sacre le roi des dieux

L’idée d’une intervention divine pour rétablir l’ordre social, pour punir ou récompenser, fut d’abord tout à fait étrangère à l’idée d’une continuation de la vie après la mort : elle ne s’introduisit que beaucoup plus tard. Même chez un peuple aussi avancé que les Hébreux dans l’évolution religieuse, les peines et les récompenses au delà de la vie ne jouent aucun rôle, et cependant il n’est guère de peuple qui se soit représenté avec plus de force la volonté de Dieu comme dirigeant et domptant celle de l’homme ; mais, à leurs yeux, la victoire de Dieu s’achevait dès cette vie même ; ils n’avaient donc pas besoin d’une immortalité morale[1].

  1. On a discuté longuement pour savoir si les Hébreux croyaient à l’immortalité ; on a reproché à M. Renan ses négations à ce sujet, mais M. Renan n’a jamais nié l’existence d’un séjour d’ombres ou de mânes chez les Hébreux ; toute la question est de savoir si les Hébreux admettaient une punition morale ou une récompense morale après la mort, et M. Renan a eu raison de soutenir que c’est là une idée étrangère au judaïsme primitif. Elle semble également étrangère à l’hellénisme primitif. Bien qu’on cherchât à se concilier les faveurs des mânes, on n’enviait point leur sort, qui semblait inférieur, même pour les justes, au sort des vivants. « Ne cherche pas à me consoler de la mort, noble Ulysse, dit Achille descendu aux enfers,