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la genèse des religions.

Plus tard seulement, quand le sens critique a été plus développé, on a reconnu que la sanction ne venait pas toujours dès cette vie ; le châtiment suspendu sur les coupables, les récompenses espérées par l’homme de bien, ont ainsi reculé peu à peu de l’existence présente dans une autre plus lointaine. L’enfer et le ciel se sont ouverts pour corriger cette vie dont l’imperfection devenait trop manifeste. L’immortalité a pris ainsi une importance extraordinaire, à tel point qu’il semble que la vie moderne se dissoudrait si on lui ôtait cette idée, dont la vie antique s’est pourtant passée sans peine. Au fond, la notion claire et réfléchie de l’immortalité morale est une déduction très complexe et très lointaine de l’idée de sanction.

La sanction religieuse, étant au fond l’extension des rapports sociaux aux rapports avec les dieux, a pris successivement les trois formes de la pénalité humaine. Au début, elle n’est que vengeance, comme chez l’animal et l’homme voisin de la brute. C’est le mal rendu pour le mal. Le sentiment de vengeance a subsisté et subsiste encore au fond de toute religion qui admet une sanction divine ; la vengeance est reportée à Dieu, elle lui est confiée, elle n’en est que plus terrible. « Ne vous vengez point vous-même, dit St-Paul, mais laissez agir la colère (de Dieu), car il est écrit : à moi la vengeance, à moi les rétributions, dit le Seigneur. Mais, si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire ; car en agissant ainsi, ce sont des charbons ardents que tu amasseras sur sa tête. » — « Notre patience, écrivait saint Cyprien, nous vient de la certitude d’être vengés ; elle amasse des charbons ardents sur la tête de nos ennemis. Quel jour que celui où le Très-Haut comptera ses fidèles, enverra les coupables à la géhenne et fera flamber nos persécuteurs au brasier des feux éternels ! Quel spectacle immense, quels seront mes transports, mon admiration et mon rire ! » Et par un raffinement, l’un des martyrs de Carthage disait aux païens de le bien regarder au visage, afin de le reconnaître au jugement dernier, à la droite du Père, dans l’instant où ils seraient, eux, précipités aux flammes infernales[1].

L’idée de la vengeance, en se subtilisant, en passant pour

    j’aimerais mieux cultiver comme mercenaire le champ d’un pauvre homme sans patrimoine que de régner sur la foule entière des ombres légères. » (Voir notre Morale d’Épicure, 3e éd., Des idées antiques sur la mort).

  1. On sait que, dans les théologiens les plus orthodoxes, la peine du feu désigne une flamme véritable et sensible.