Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
dissolution de la foi symbolique.

primer ; pour l’apercevoir tout entier, il faut marcher sans cesse : alors chaque pas qu’on fait en avant est une perspective qui s’ouvre. Vivre, c’est pour l’humanité apprendre : pour pouvoir nous dire le grand secret, il faudrait qu’un seul homme eût vécu la vie de l’humanité, la vie de tous les êtres et même de toutes ces choses qui semblent à peine mériter le nom d’êtres ; il faudrait qu’un homme eût concentré en lui l’univers. Il ne peut donc y avoir de religion d’un homme ; un homme, fût-il Jésus, ne peut pas retenir autour de lui l’esprit humain comme autour d’un centre immuable. Les protestants libéraux croient en avoir fini avec la critique des Strauss et des Renan parce qu’ils auront concédé une fois pour toutes que Jésus n’était pas un dieu ; mais la critique leur objectera que le « Messie » non surnaturel qu’ils se figurent est lui-même une imagination. Selon l’exégèse rationaliste, la doctrine du Christ appartient plus ou moins, comme sa vie même, au domaine de la légende. Jamais Jésus n’eut l’idée de la rédemption, c’est-à dire précisément l’idée qui fait le fond du christianisme ; jamais il ne conçut la Trinité. Si l’on en croit les travaux peut-être un peu terre à terre de Strauss, de F.-A. Müller, du professeur Weiss, de M. Havet, Jésus était un Juif, et avait encore l’étroitesse d’esprit des Juifs. Son idée dominante était la fin prochaine du monde, la réalisation sur une terre nouvelle du royaume national attendu par les Juifs et qui n’était pour eux qu’une théocratie toute terrestre ; la fin du monde étant proche, il ne valait plus la peine de vaquer à un établissement sur la terre pour le peu de temps qu’elle avait à subsister ; il fallait uniquement s’occuper de pénitence et d’amendement pour n’être pas, au jour du jugement, dévoré par le feu et exclu du royaume fondé sur la nouvelle terre. Aussi Jésus prêchait-il le dédain de l’État, de l’administration, de la justice, de la famille, du travail et de la propriété, bref de tous les ressorts essentiels de la vie sociale. La morale évangélique elle-même n’apparaît aux critiques de cette école que comme un mélange sans unité des préceptes mosaïstes sur l’amour désintéressé avec la doctrine d’Hillel plus ou moins fondée sur l’intérêt bien entendu. L’originalité évangélique serait moins dans le lien logique des idées que dans une certaine onction répandue sur toutes les paroles, dans une éloquence persuasive qui remplace souvent le raisonnement. Ce que le Christ a dit, d’autres