Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
150
dissolution des religions.

l’avaient dit auparavant, mais non avec le même accent En somme, la critique historique de l’Allemagne, tout en professant la plus grande admiration pour les fondateurs multiples du christianisme, entraîne ses partisans bien loin de l’homme-type que se figurent les néo-chrétiens, comme de l’homme-dieu qu’adoraient les chrétiens primitifs. Nous n’avons donc plus de raison pour admettre un reste de révélation ou un reste d’autorité sacrée qui appartiendrait aux Evangiles plutôt qu’aux Védas ou à tout autre livre religieux. Si la foi est svmbolique, on peut alors aussi bien prendre pour svmboles les myihes de l’Inde que ceux de la Bible. Les brahmaïstes contemporains, avec leur éclectisme souvent confus et mystique, sont même plus près de la vérité que les protestants libéraux, qui cherchent encore l’abri unique et le salut sous l’ombre toujours plus diminuée de la croix.


En renonçant à attribuer une autorité sacrée aux livres saints et à la tradition chrétienne, leur prêtera-t-on du moins une autorité morale supérieure ? Laissera-t-on subsister, avec M. Arnold, un symbolisme purement esthétique et moral auquel la Bible servira de texte ?

On peut apprécier de deux manières le symbolisme purement moral, selon qu’on se place au point de vue concret de l’histoire ou au point de vue abstrait de la pensée philosophique. Historiquement, rien n’est plus inexact que la méthode de M. Arnold : elle consiste à prêter les idées les plus raffinées de notre époque aux peuples primitifs. Elle laisse entendre, par exemple, que le Javeh des Hébreux n’était pas une personne parfaitement définie, une puissance transcendante bien distincte du monde et s’y manifestant par des actes d’une volonté capricieuse, un Roi des cieux, un Seigneur des armées donnant à son peuple la victoire ou la défaite, l’abondance ou la famine, la santé ou la maladie. Il suffit de lire une page de la Bible ou de l’Évangile pour se convaincre que jamais les Hébreux n’ont douté un seul instant de la personnalité de Javeh. — Soit, dira M. Arnold, mais Javeh n’était à leurs yeux que la personnification de la justice parce qu’ils y croyaient fortement. — Il serait plus exact de dire qu’ils n’avaient pas encore une idée très philosophique de la justice, qu’ils se la représentaient comme un ordre reçu du dehors, un commandement auquel il