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dissolution de la morale religieuse. — mysticisme.

et on politique, on n’a pas seulement à résoudre ce problème : quelle est la meilleure façon de combiner les forces humaines ; mais celui-ci : quel est le meilleur moyen de susciter les efforts humains ; sous ce rapport, l’amour du clocher a du bon. Un clocher, cela ne se perd pas de vue ; on sait où l’on va, on ne peut pas tirer à côté ; on a l’espoir d’y arriver, parfois la certitude, et ce sont là de grandes forces. Il en est de même de l’amour bien entendu pour soi et pour les siens. C’est précisément ce que le mysticisme méconnaît et par où il se met en contradiction avec l’esprit scientifique. Pour lui, il n’y a pas de compromis possible entre la réalité et un idéal qui en est la négation. Pour être logique, le mystique doit appeler de ses vœux l’anéantissement total, comme les Schopenhauer et les Hartmann. Que le monde se vaporise pour ainsi dire, se sublimise, comme ces cadavres que les adorateurs du soleil exposaient à ses rayons pour faire monter en vapeur et rentrer dans la lumière tout ce qui pouvait y rentrer !

Ce qui est excessif tend à se détruire soi-même. Si la volupté aboutit au dégoût, le mysticisme a aussi son mal dans ce désenchantement de Dieu même, dans cette nostalgie de joies inconnues, dans cette tristesse des cloîtres que les chrétiens ont été forcés de désigner par un mot nouveau ajouté à la langue latine, acedia. Lorsque, au moyen âge, toutes les préoccupations et toutes les affections étaient tournées vers le ciel, c’était autant de force enlevée à la terre et aux tendresses humaines. L’évolution intellectuelle et morale amène de nos jours un effet contraire : l’amour de Dieu tend à perdre de sa puissance. D’autre part l’amour des hommes et en gaméral de tous les êtres vivants tend chaque jour à s’accroître. Ne voit-on pas dès à présent une sorte de substitution de l’un à l’autre ? Ne semble-t-il pas que la terre profite à son tour de ce qui est enlevé au ciel, que beaucoup de force auparavant dépensée en adorations vaines, dispersée dans les nuages, se trouve de plus en plus employée au service pratique de l’humanité et peut servir à féconder le monde ?

Autrefois, les idées de fraternité humaine et d’égalité aimante ont eu surtout les chrétiens pour promoteurs. Cela s’explique facilement par ce fait que. Dieu étant conçu par eux comme un père réel, un « genitor », les hommes leur semblaient une seule famille, ayant un commun ancêtre