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dissolution des religions.

après tout l’avantage de symboliser une partie de la vérité ; à ce titre, du moins, on peut les laisser à la foule. — C’est comme si l’on disait qu’il faut laisser le peuple croire que le soleil tourne autour de la terre, parce qu’il est incapable de se représenter les mouvements des astres dans leur complexité infinie. Toute théorie, tout essai d’explication, quelque grossier qu’il soit, est cependant à quelque degré un symbole de la vérité. C’est un symbole du vrai que la théorie de l’horreur du vide, du sang immobile dans les artères, des rayons lumineux projetés en ligne droite par émission. Toutes ces théories primitives sont des vues incomplètes de la réalité, des manières plus ou moins populaires de la traduire : elles reposent sur des faits visibles, non encore percés à jour par l’observation scientifique ; est-ce une raison pour respecter tous ces symboles et pour condamner l’esprit populaire à s’en nourrir ? Les primitives et mythiques explications ont servi à édifier la vérité, elles ne doivent pas servir à la cacher aujourd’hui : on ne laisse pas éternellement devant la façade d’un édifice l’échafaudage qui a permis de l’élever. Si certains contes sont bons pour amuser les enfants, du moins a-t-on soin qu’ils ne les prennent pas trop au sérieux. Ne prenons pas non plus tellement au sérieux les dogmes vieillis, ne les regardons pas avec trop de complaisance et de tendresse : s’ils doivent être encore pour nous un objet d’admiration quand nous les replaçons par la pensée dans le milieu où ils ont pris naissance, qu’il n’en soit plus ainsi quand ils cherchent à se perpétuer dans le milieu moderne, qui n’est plus fait pour eux.

Comme M. Renan, M. Max Müller verrait presque un exemple à suivre dans les castes établies par les Hindous entre les intelligences comme entre les classes, dans les périodes régulières ouaçramas par lesquelles ils obligeaient l’esprit de passer, dans le luxe de religions dont ils surchargeaient l’esprit des peuples. Pour eux, l’erreur traditionnelle devenait sacrée et vénérable ; elle devait servir de préparation à la vérité ; il fallait mettre d’abord un bandeau sur les yeux, pour le faire tomber ensuite. L’esprit moderne a des tendances bien contraires ; il aime à faire profiter les générations qui viennent de toutes les vérités acquises par les générations qui s’en vont, sans faux respect ni ménagement pour les erreurs remplacées ; il ne lui suffit pas que la lumière entre par quelque fissure secrète, il ouvre portes et fenêtres pour la répandre plus largement. Il ne