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dissolution des religions.

ne prouvent rien sur la vertu morale absolue de cette religion. Le mahométisme rend les plus grands services aux peuplades barbares en les empêchant de s’enivrer, et tous les voyageurs constatent la supériorité morale des tribus mahométanes sur les tribus converties au christianisme : les premières sont composées de pasteurs et de commerçants relativement honnêtes, les secondes d’ivrognes que l’alcool a transformés en bêtes brutes et en pillards. S’ensuit-il qu’il faille nous convertir au mahométisme, et même que les défenses du Coran, toutes puissantes sur un esprit sauvage, agiraient avec la même force sur un ivrogne de Londres ou de Paris ? Hélas non. Sans quoi on pourrait essayer de ce moyen : la sobriété est plus importante encore pour les basses classes que la continence, son absence aboutit plus vite à la bestialité ; d’ailleurs l’ouvrier, le paysan surtout, sont forcés d’abuser des femmes moins que du petit verre, par cette raison que les premières coûtent plus cher que les seconds ; même parmi les croyants de Mahomet, les pauvres ne peuvent avoir qu’une femme.

En définitive les religions ne font pas à elles seules les mœurs ; elles peuvent encore moins les refaire ; elles peuvent seulement les maintenir quelque temps, renforcer l’habitude par la foi, La force de la coutume et du fait acquis est si considérable que la religion même ne peut guère la heurter de front. Lorsqu’une religion nouvelle pénètre chez un peuple, elle ne détruit jamais le fonds de croyances qui avait pris racine au cœur de ce peuple ; elle le fortifie plutôt en se le subordonnant. Pour vaincre le paganisme, le christianisme a dû se transformer : il s’est fait latin dans les pays latins, germain dans les pays germains. Nous voyons le mahométisme de la Perse, de l’Hindoustan, de Java, ne servir que de vêtement et de voile aux vieilles croyances zoroastriennes, brahmaniques ou bouddhiques. Les mœurs, les caractères nationaux et les superstitions sont choses plus durables que les dogmes. Dans le caractère des hommes du Nord il y a toujours quelque chose de dur et de tout d’une pièce, qui produit dans les mœurs plus de régularité au moins extérieure, plus de discipline, parfois aussi plus de sauvagerie et de brutalité. Les hommes du Midi sont, au contraire, mobiles, malléables, faciles à toutes les tentations. Affaire de climat, non de relinion. Le sapin rigide est un arbre du Nord, tandis que dans le Midi croissent les grands