Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
la religion et l’irréligion chez l’enfant.

a deux manières d’observer cette neutralité, l’une passive pour ainsi dire, l’autre active. On peut rester neutre passivement en s’abstenant de réfuter ou d’appuyer les prétentions d’une théologie particulière ; on peut rester neutre activement en poursuivant sa tâche scientifique ou philosophique à côté et en dehors de tout problème purement dogmatique[1]. C’est à cette espèce de neutralité qu’on doit s’arrêter dans l’enseignement secondaire ou primaire, c’est elle qui doit être la règle même de conduite pour l’instituteur.

Le maître d’école a été de tout temps en butte aux railleries faciles, il a parfois des ridicules saisissables au premier coup d’œil ; aujourd’hui il est peu prisé par tous ceux qui prétendent à la hauteur de la pensée. Les Renan et les Taine, les partisans de l’aristocratie intellectuelle, ne voient pas sans un sourire ce représentant de la démocratie, d’une science mise à la portée des petits enfants. Les membres du haut enseignement n’ont pas d’excuse pour le pédantisme que laisse quelquefois paraître ce magister qui ne sait pas le grec. Tous les lettrés qui ont quelque velléité de poésie ou d’art trouvent bien prosaïque, bien utilitaire l’homme dont la principale ambition est de faire entrer dans quelques milliers de têtes de paysans l’alphabet, la grammaire, le nom des capitales de l’Europe et des lieux d’où nous vient le poivre ou le café. Et cependant ce maître d’école dédaigné, dont la tâche grandira tous les jours, est le seul intermédiaire entre les masses attardées et les esprits d’élite qui vont toujours de l’avant. Il a cette qualité d’être l’homme nécessaire par excellence, et ce défaut de le sentir parfois un peu trop ; dans le fond de son effet qu’il produit sur les petits enfants et sur les grossiers ignorants qui l’entourent : c’est là une illusion d’optique naturelle. Mais, si la conscience quelquefois exagérée de son rôle lui donne un peu de ce pédantisme tant reproché, et en somme assez inoffensif, elle peut aussi lui communiquer ce dévouement qui a si souvent élevé les humbles à la hauteur des circonstances où le hasard les plaçait. Puis, qui façonne et instruit le maître

  1. « L’enseignement laïque, disait aussi Littré, ne doit se désintéresser de rien qui soit essentiel ; or, quoi de plus essentiel, en fait de gouvernement moral des sociétés, que les religions, qui ont dominé ou dominent encore au sein des sociétés ? »