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dissolution des religions.

d’école, si ce n’est la société ? et ne peut-elle faire monter le niveau de son esprit à mesure que s’élargit sa tâche ? Peu de science rend pédant, beaucoup de science rend modeste. On trouvera toujours des maîtres aussi instruits qu’on pourra le désirer, pourvu qu’on ait soin d’élever les traitements dans la mesure où on élève les programmes. Il est étrange que la société ne mette pas tous ses soins à former ceux par qui elle est formée elle-même. La grande question de l’éducation populaire devient, sous certains rapports, une question de gros sous. Déjà l’instruction pratique du maître d’école s’est beaucoup perfectionnée : il est initié à la main-d’œuvre et comme à la cuisine de certaines sciences ; il a des notions d’agriculture et de chimie qui lui permettent de donner parfois d’excellents conseils aux paysans. Il serait facile de perfectionner un peu son éducation théorique, de lui faire prendre de plus haut les sciences qu’il regarde trop par leur petit côté ; de lui donner des ouvertures sur l’ensemble des choses, de lui enlever l’adoration exclusive du petit fait isolé, de la vétille historique ou grammaticale. Un peu de philosophie on ferait un meilleur historien et un géographe moins ennuyeux. On pourrait l’initier aux grandes hypothèses cosmologiques, lui donner aussi des notions suffisantes sur la psychologie, principalement sur la psychologie de l’enfant. Enfin, un peu d’histoire des religions le familiariserait avec les principales spéculations métaphysiques que l’homme a tentées pour représenter l’au-delà de la science ; il n’en deviendrait que plus tolérant à l’égard de toutes les croyances religieuses. Cette instruction plus étendue lui permettrait de suivre de loin les progrès des sciences ; son intelligence ne se fermerait plus, ne se murerait plus pour ainsi dire entre l’a b c et la grammaire. De l’élévation de l’intelligence découle d’ailleurs l’élévation morale, qui se traduit dans les moindres actes de la vie, et quelquefois l’action la plus simple, une parole d’un maître influe sur un enfant pour toute l’existence. Plus un être est supérieur intellectuellement et surtout moralement, plus il a d’influence sur ceux qui l’entourent. Dès maintenant, le très mince savoir de l’instituteur lui a donné une influence très réelle dans son milieu : on croit en lui, on ajoute foi à ses paroles. Le paysan, ce saint Thomas de tous les temps, qui secoue aujourd’hui la tête en écoutant son curé, s’habitue à consulter l’instituteur, depuis que Selui-ci lui a appris à faire pousser plus de grains de blé