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la religion et l’irréligion chez l’enfant.

Nous croyons que c’est un devoir pour le père de faire triompher dans la famille qui l’entoure les idées dont il est lui-même persuadé. Quelle que soit, dans le problème religieux, la solution à laquelle il est arrivé pour son propre compte, il ne doit s’efforcer de la cacher à personne, surtout à sa famille. Youdrait-il, d’ailleurs, tenir secrètes ses opinions, il ne le pourrait pas toute sa vie. Par cet essai dang-ereux de dissimulation, il ne ferait que créer le danger suivant : après avoir laissé, dans l’esprit de ses enfants, s’associer étroitement les préceptes moraux et les dogmes religieux, il risquerait, en ébranlant tôt ou tard les seconds, de faire douter des premiers. L’enfant est précisément l’être chez lequel il est le plus dangereux d’associer étroitement la religion et la morale. L’enfant est, de tous les êtres humains, le moins philosophe, le moins métaphysicien, le moins habitué aux idées scientifiques ; il est donc celui dont l’esprit est le moins difficile à fausser pour toujours, celui à qui il est le plus facile d’inculquer des notions fausses ou douteuses présentées comme certaines. En Chine, dans des conférences périodiques, certains mandarins développent ce thème devant les habitants notables : « Faites votre devoir de citoyen et défiez-vous des religions ; » c’est là précisément ce que le père de famille doit dire et redire à ses enfants. Un des principes de l’éducation est de supposer que l’enfant est raisonnable et de le traiter comme tel, précisément pour développer en lui la raison, sans hâter à l’excès ce développement. Ce qui manque à l’enfant, c’est beaucoup moins l’intensité de l’attention que sa durée. Très souvent parmi les gens de la campagne, et presque toujours parmi les races inférieures (comme chez les animaux), l’enfant est plus éveillé, plus curieux, plus agile d’esprit que l’homme fait ; seulement il faut saisir au vol ce petit esprit, fixer un moment l’oiseau qui passe. C’est la tâche de l’oiseleur, je veux dire de l’éducateur : il faut s’en prendre beaucoup plus souvent à lui qu’à l’enfant si ce dernier ne comprend pas, renonce à interroger, tombe dans l’inertie et la paresse d’esprit. L’éducation scientifique de l’enfant doit donc commencer avec sa première question : on lui doit la vérité, la vérité accessible à son intelligence. Du moment où, de lui-même, l’enfant pose une question, c’est qu’il est en état de comprendre en partie la réponse ; le devoir de celui qui est interrogé est alors de répondre dans la mesure où il juge l’enfant capable de le com-