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dissolution des religions.

réglementé et compliqué que leur conseille l’Église ? Chez les catholiques, que de questions indiscrètes le confesseur fait à la jeune fille ! Que de défenses dangereuses comme des suggestions ! Au reste, même en fait de pudeur, l’excès est un défaut : un peu de liberté bien entendue dans l’éducation ou dans les mœurs ne serait point un mal. L’éducation catholique peut finir par fausser l’esprit de la femme en l’élevant trop à l’écart de l’homme, en l’habituant à être toujours intimidée et troublée par celui avec lequel elle doit passer son existence, en rendant sa pudeur trop indéterminée et trop farouche, en en faisant une sorte de religion.

Il se manifeste aussi parfois une déviation de la pudeur dans les tendances mystiques de la femme, plus fortes surtout à l’âge de la puberté. Ces tendances, exploitées par le prêtre, deiennent l’origine des couvents et des cloîtres. L’éducation catholique de la jeune fille est trop souvent une sorte de mutilation morale ; on cherche à faire des vierges et on risque de faire de sottes femmes. Les religions ont trop de tendance à considérer l’union des sexes sous je ne sais quel aspect mystique et, au point de vue moral, comme une maculation. Oui, certes, la pureté est une force : c’est avec une petite pointe de diamant qu’on perce aujourd’hui les montagnes et les continents mêmes ; mais le christianisme a trop confondu la chasteté avec la pureté. La vraie pureté est celle de l’amour. On peut dire que la chasteté véritable est dans le cœur, qu’elle survit à celle du corps, qu’elle cesse au contraire là où elle devient impuissance, restriction, obstacle au libre développement de l’être entier : un eunuque ou un séminariste peut n’avoir rien de chaste ; le sourire d’une fiancée à son amant peut être infiniment plus virginal que celui d’une nonne. Rien d’ailleurs ne souille l’esprit comme une préoccupation trop exclusive, trop perpétuelle des choses du corps ; l’attention attirée sans cesse de ce côté évoque nécessairement des images impudiques. Saint Jérôme, dans le désert, croyant, comme il le raconte, voir danser nues au clair de lune les courtisanes romaines, avait au fond le cœur et le cerveau moins purs que Socrate rendant sans façon visite à Théodora. La pudeur trop consciente devient nécessairement impudique. La virginité tire toute sa grâce d’une ignorance ; lorsqu’elle devient assez savante pour se connaître elle-même, elle se flétrit : le printemps passé, on ne conserve les vierges, comme certains fruits,