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la religion et l’irréligion chez la femme.

qu’en les desséchant. Deux choses transforment l’univers en y apparaissant, l’amour et le soleil. La pudeur est simplement une armure, qui suppose encore un état de guerre entre les sexes et a pour hut d’empêcher la promiscuité aveugle ; l’abandon mutuel de l’amour est plus chaste que l’inquiétude pudibonde et le soupçon impudique, il s’établit entre deux amants une sorte de confiance qui fait qu’ils ne veulent, qu’ils ne peuvent rien retenir d’eux : la contrainte sur soi, le sentiment de défiance à l’égard d’un étranger, la conscience de l’état de lutte, tout cela disparaît. C’est assurément l’union la plus parfaite qui puisse exister ici-bas, et si, d’après la croyance platonicienne, le corps, la matière est ce qui divise les esprits, on peut dire, malgré l’apparence de paradoxe, que l’amour est l’état où le corps se fait moins opaque entre les âmes, se resserre et s’efface. Le mariage même conserve encore à la femme une sorte de virginité morale : sur le doigt jauni des vieux mariés, on reconnaît la petite place blanche occupée depuis trente ans par l’anneau des fiançailles, et qui est restée seule à l’abri des flétrissures de la vie.

La pudeur est un sentiment qui s’est perpétué, nous l’avons vu, parce qu’il était utile à la propagation de l’espèce ; la mysticité le détourne et le corrompt en le faisant servir précisément contre la propagation de l’espèce. Entre une carmélite et une courtisane, une Ninon de Lenclos par exemple, le sociologiste peut parfois hésiter : au point de vue social elles sont toutes deux à peu près aussi inutiles, leur vie est aussi misérable et vaine ; les macérations excessives de l’une sont folles comme les plaisirs de l’autre ; le dessèchement moral de l’une n’est pas Earfois sans quelque rapport avec la corruption de l’autre, les vœux ou les habitudes de chasteté perpétuelle, la vie monastique même ont pourtant trouvé de nos jours un défenseur inattendu dans M. Renan. Il se place, il est vrai, à un point de vue tout dillerent du christianisme. S’il exalte la chasteté perpétuelle, c’est au nom d’inductions purement physiologiques : il la considère comme un simple moyen d’accroître la production intellectuelle et la capacité du cerveau. Il ne blâme pas absolument l’impureté ; il jouit intérieurement, comme il le dit lui-même, des joies du débauché, des ardeurs de la courtisane ; il a la curiosité infinie, la parfaite impudeur du savant. N’importe, il croit voir une sorte d’antinomie entre le plein développement