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dissolution des religions.

jeune et plus peuplée est donc un organisme plus riche et plus résistant ; c’est comme une machine à vapeur sous une plus haute pression. La moitié, peut-être les trois quarts des hommes distingués appartiennent à de nombreuses familles : quelques-uns sont le dixième, le douzième enfant ; restreindre les familles, c’est donc restreindre la production du talent et du génie, et cela dans une mesure beaucoup plus forte encore que ne l’aura été la restriction de la famille. En effet, un fils unique, loin d’avoir en moyenne plus de chances d’être un homme remarquable, en a moins, surtout s’il appartient à la classe aisée, « La mère, a-t-on dit, et même le père couvent ce premier rejeton, l’émasculent à force de petits soins superflus, et leur condescendance à ses volontés lui épargne toute gymnastique morale. » Tout enfant qui s’attend à être le seul héritier d’une petite fortune déploiera nécessairement moins d’ardeur dans la lutte pour la vie. Enfin, c’est un fait physiologique que les premiers nés sont souvent moins vigoureux ou moins intelligents : la maternité est une fonction qui, comme toute fonction, se perfectionne par la répétition et l’habitude ; il est rare que les mères, comme les poètes, fassent leur chef-d’œuvre du premier coup. Limiter le nombre de ses enfants, c’est donc aussi, dans une certaine mesure, limiter leurs facultés physiques et intellectuelles.

De même qu’une plus grande fécondité augmente l’intensité de vie physique et mentale dans une nation, elle augmente aussi l’intensité de la vie économique, précipite la circulation des richesses, accroît enfin la somme des richesses publiques au lieu de la diminuer. C’est ce que nous voyons se produire sous nos yeux en Allemagne et en Angleterre, où la richesse publique s’est accrue parallèlement à la population. En Allemagne, dans une période de neuf ans (1872 à 1881), le revenu annuel moyen de chaque individu augmentait de 6 pour 100 en même temps que la population s’accroissait par millions. On voit combien est superficiel le calcul des économistes qui attribuent à la surabondance de la population la cause principale de la misère. Tant qu’il y aura sur terre une parcelle de sol occupable, peut-être même quand le sol sera cultivé tout entier (car la science aura pu créoralors de nouvelles sources de bien-être et même d’alimentation), un homme constituera toujours un capital vivant, de plus haut prix qu’un cheval ou un bœuf, et accroître la somme des citoyens