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l’irréligion de l’avenir.

c’est cette idée que le suprême idéal de l’humanité, et même de la nature, consiste dans l’établissement de rapports sociaux toujours plus étroits entre les êtres. Les religions ont donc eu raison de s’appeler elles-mêmes des associations et des églises (c’est-à-dire des assemblées). C’est par la force des associations, soit secrètes, soit ouvertes, que les grandes religions juive et chrétienne ont envahi le monde. Le christianisme a même abouti, dans l’ordre moral et social, à la notion de l’église universelle, d’abord militante, puis triomphante et unie dans l’amour. Seulement, par une étrange aberration, au lieu de considérer l’universalité comme un idéal, limite inaccessible d’une évolution indéfinie, on a présenté la catholicité comme déjà réalisée dans un système de dogmes qu’il n’y aurait plus qu’à faire connaître et, au besoin, à imposer. Ce contresens a été la perte des religions dogmatiques, et il subsiste encore même dans les religions qui changent les dogmes en symboles, car il y a encore moins de symbole universel que de dogme universel. La seule chose universelle doit être précisément l’entière liberté donnée aux individus de se représenter à leur manière l’éternelle énigme et de s’associer avec ceux qui partagent les mêmes conceptions hypothétiques.

L’association, entravée jusquici par les lois, l’ignorance, les préjugés, les difficultés des communications, qui sont une difficulté de rapprochement, etc., n’a guère commencé qu’en ce siècle à montrer toute sa puissance. Il viendra sans doute un jour où des associations de toute sorte couvriront le globe, où tout, pour ainsi dire, se fera par association, où dans le grand corps social des groupes sans nombre de l’aspect le plus divers se formeront, se dissoudront avec une égale facilité, circuleront sans entraver en rien la circulation générale. Le type dont toute association doit chercher à se rapprocher, c’est celui qui unirait à la fois l’idéal du socialisme et l’idéal de l’individualisme, c’est-à-dire celui qui donnerait à l’individu le plus de sécurité dans le présent et dans l’avenir tout en lui donnant aussi le plus de liberté. Dès maintenant toute assurance est une association de ce genre ; d’une part, elle fait protéger l’individu par une immense force sociale mise en commun ; d’autre part, elle n’exige de l’individu qu’un minimum de contribution, elle le laisse libre d’entrer ou de sortir à son gré de l’association, le protège enfin sans rien imposer.