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l’association des volontés.

seignement et de propagation populaire. Toutes les théories morales, même les plus sceptiques ou les plus égoïstes à leur point de départ, ont abouti à constater ce fait que l’individu ne peut pas vivre uniquement de soi et pour soi, que l’égoïsme est un rétrécissement de la sphère de notre activité, qui finit par appauvrir et altérer cette activité même. On ne vit pleinement qu’en vivant pour beaucoup d’autres. Nos actions sont comme une ombre que nous projetons sur l’univers ; pour raccourcir cette ombre et la ramener vers nous, il faut diminuer notre taille ; aussi le meilleur moyen pour se faire grand, c’est de se faire généreux, tandis que tout égoïsme a pour conséquence ou pour principe une petitesse intérieure. L’idée et le sentiment qui est au fond de toute morale humaine, c’est toujours le sentiment de la générosité ; généreux et philanthropiques deviennent eux-mêmes, pour qui les regarde sous un certain angle, les systèmes d’Épicure et de Bentham. C’est cet esprit de générosité inhérent à toute morale qu’un moraliste peut et doit toujours s’efforcer de dégager, de faire pénétrer dans l’esprit de ses auditeurs. Que reste-t-il des longues années d’enseignement auxquelles a été vouée notre jeunesse ? Des formes abstraites ? des idées plus ou moins scolastiques inculquées à grand peine ? Non, tout cela se fond, se disperse ; ce qui subsiste, ce sont des sentiments. De l’enseignement de l’histoire se dégage un certain culte du passé et de nos traditions nationales, qui est utile, mais qui peut devenir dangereux s’il est poussé trop loin ; de l’enseignement de la philosophie, une certaine ouverture d’esprit, une curiosité pour la recherche des causes, un amour de l’hypothèse, une tolérance à l’égard des doctrines opposées à la nôtre ; et que doit-il rester d’un enseignement bien suivi de la morale ? Avant tout une générosité du cœur qui fait que, — sans nous oublier nous-mêmes, — du moins nous ne nous soucions plus uniquement de nous. Tous les autres enseignements élargissent l’esprit, celui-ci doit élargir le cœur. Il ne faut donc pas avoir peur de la diversité des systèmes moraux, parce qu’en somme ils n’ont pas trouvé de vérité psychologique et physiologique plus certaine, de fait plus vérifiable que l’amour, principe de tout altruisme, et qu’ils en viennent nécessairement à placer l’être humain dans cette alternative : se dessécher ou s’ouvrir. Les actions exclusivement égoïstes sont des fruits pourrissant sur l’arbre plutôt que de nourrir. L’égoïsme, c’est l’éternelle