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l’association des volontés.

parlez n’a sur la tête aucune menace divine, sa situation ne deviendra-t-elle pas enviable pour beaucoup de gens, qui travailleront à détruire en eux les instincts moraux et humains pour se placer précisément dans la position de cet homme ? — Nous ne croyons pas que la foi à la sanction religieuse apporte un grand changement à l’aspect qu’un tel être, malade moralement, présente pour tout être sain. Le crime ne peut offrir pour l’homme qu’un seul attrait, celui de la richesse qu’il a chance de se procurer. Mais la richesse, quelque prix qu’elle ait aux yeux populaires, n’est pourtant pas sans commune mesure avec tout le reste. Proposez à un pauvre de le rendre millionnaire en lui donnant la goutte, il refusera s’il a l’ombre de raison. Proposez-lui d’être riche sous la condition d’être bancal ou bossu, il refusera probablement aussi, surtout s’il est jeune ; toutes les femmes refuseraient. La difficulté qu’on éprouve à recruter certains états, même bien rétribués, comme celui de bourreau, montre encore qu’aux yeux du bon sens populaire l’argent n’est pas tout. S’il était tout, nulle menace religieuse ne pourrait empêcher l’assaut universel donné aux richesses[1]. Je connais des femmes et aussi des hommes qui refuseraient une fortune s’il fallait l’acquérir dans l’état de boucher, — tant sont fortes certaines répugnances, même purement sentimentales et esthétiques. L’horreur morale du crime, plus puissante dans la généralité des cœurs que toute autre répugnance, nous écartera donc toujours des criminels, quelles que soient les perspectives de l’au-delà de la vie.

Cette horreur ne sera que plus forte lorsque, au sentiment habituel de haine, de colère et de vengeance que nous cause la présence d’un criminel, se sera substitué par degré le sentiment de la pitié, — de cette pitié que nous éprouvons pour les êtres inférieurs ou mal venus, pour les monstruosités inconscientes de la nature. On peut parfois se prendre à envier le sort de celui qu’on hait ; mais on ne peut souhaiter d’être à la place du misérable qui vous fait

  1. M. de Molinari a calculé les chances de mort auxquelles on s’expose en exerçant régulièrement le métier d’assassin et certaines professions dangereuses comme celle de mineur. Il est arrivé aux résultats suivants : un assassin court moins de risques de mort qu’un mineur : « une compagnie d’assurance qui assurerait des assassins et des ouvriers mineurs, pourrait demander aux premiers une prime inférieure à celle qu’elle serait obligée d’exiger des seconds. » V. dans notre Esquisse d’une morale le chapitre sur le risque et la lutte, 1. IV.