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la physique religieuse et le sociomorphisme.

depuis quatre mille ans, pourrait lui aussi se croire immobile ; pourtant il n’a pas cessé un instant de se mouvoir, entraîné par la terre même, qui, à la suite du soleil, le porte à travers des cieux toujours nouveaux.

Reste à déterminer ces idées premières qui ont été, pour ainsi dire, le fond universel des religions. Ici commence le désaccord entre les principaux représentants de la science religieuse. Les uns expliquent la naissance des religions par une sorte d’intuition mystérieuse de la vérité suprasensible, par une divination de Dieu ; les autres l’expliquent par une erreur de l’expérience, par une fausse démarche de l’intelligence humaine. Les premiers voient dans la religion un élan immense de la raison hors du monde physique où nous sommes enfermés, les seconds la croient née tout d’abord d’une interprétation inexacte des phénomènes les plus ordinaires de ce monde, des objets de nos sens ou de notre conscience ; pour les uns elle est plus que de la science, pour les autres, elle est une pseudoscience. Tous les idéalistes, les Strauss, les Renan, les Matthew Arnold, retrouvent dans les religions le germe de leur idéalisme raffiné et s’inclinent devant elles avec un respect qui pourrait paraître ironique, s’il ne se déclarait lui-même très sincère ; ils voient en elles ce que l’esprit humain a produit de plus noble et de plus éternel. Les esprits positifs, au contraire, n’aperçoivent, avec Auguste Comte, à l’origine des religions que les croyances grossières du fétichisme.

On voit que le problème de l’origme des religions, sous la forme nouvelle où il se pose aujourd’hui, reste toujours aussi grave ; on se demandait autrefois si la religion était révélée ou naturelle : on va aujourd’hui jusqu’à se demander si la religion est conforme à la vraie nature, si elle n’est pas le produit d’un égarement de l’esprit, d’une sorte d’illusion d’optique nécessaire que la science corrige en l’expliquant ; si enfin le dieu des religions mythiques et symboliques n’est pas encore une idole agrandie.


I. — La théorie positiviste des religions semblait bien près de triompher il y a quelques années[1]. Beaucoup l’avaient acceptée, sans d’ailleurs en tirer toujours toutes les conséquences. En ce moment elle est, au contraire, fortement

  1. Nous la trouvons adoptée, on à peu près, même par des spiritualistes comme M. Vacherot, La Religion (Paris, 1869).