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la genèse des religions.

contestée ; des éléments nouveaux ont été introduits dans les données du problème, et la question doit être soumise à un nouvel examen. M. Max Müller, principalement, a tenté un effort en quelque sorte désespéré pour sauver le caractère objectif et rationnel de la religion, compromis par les positivistes[1]. En se plaçant à un point de vue tout différent, M. Herbert Spencer a aussi, dans sa Sociologie, fait la critique des théories qui considèrent le fétichisme ou le « naturisme » comme le principe de la religion.

Suivant M. Max Müller, la notion du divin (surtout sous la forme de la notion d’infini), aurait précédé celle des dieux. Les dieux ne seraient qu’une personnification postérieure de cette grande idée natlurelle à l’homme, nos ancêtres se sont agenouillés même avant de pouvoir nommer celui devant qui ils s’agenouillaient. De nos jours encore, où nous finissons par reconnaître pour vains tous les noms qui ont été donnés au dieu inconnu, il nous est possible de l’adorer en silence. La religion, qui a fait les dieux, pourra donc leur survivre. Nous disons : la religion ; et en effet, d’après M. Max Müller, toutes les religions se réduisent à l’unité, car elles se ramènent toutes, dans leur long développement à travers les âges, à révolution d’une seule et même idée, celle d’infini, qui, dès l’abord, a été présente à l’esprit de tous les hommes. Cette idée universelle, selon M. Max Müller, n’aurait pourtant rien de mystique ni d’inné au vieux sens du mot. Il accepte volontiers l’axiome : Nihil in fide quod non antea fuerit in sensu[2]. Mais, selon lui, dans la perception des choses finies par les sens est contenue la perception même de l’infini, et c’est cette idée d’infini, à la fois sensible et rationnelle, qui va devenir le vrai fomlcmenl de la religion. Avec les cinq sens du sauvage, M. Max Müller se charge de lui faire sentir, ou du moins pressentir l’infini, le désirer, y aspirer. Prenons le sens de la vue par exemple : « L’homme voit jusqu’à un certain point, et là son regard se brise ; mais, précisément au point où son regard se brise, s’impose à lui, qu’il le veuille ou non, la perception de l’illimité, de l’infini. » Si l’on peut dire, ajoute M. Max

  1. Voir l’Origine et le développement de la religion étudiés à la lumière des religions de l’Inde (traduit de l’anglais par J. Darmestetereter, 1 vol. in-8o, 1879, Reinwald).
  2. Orig. et dével. de la religion., p. 213.