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l’irréligion de l’avenir.

ne pèsent pas plus l’une que l’autre pour la pensée humaine. Loin de là : nous croyons que, parmi les hypothèses métaphysiques, un triage s’est fait déjà et se continuera à l’avenir. Un progrès croissant s’accomplit dans notre représentation de l’inconnaissable à mesure que s’éclaire pour nous la sphère du connaissable. La morale elle-même, si différente selon les contrées, tend à se rapprocher d’un type unique et à devenir identique pour tous les peuples civilisés ; on en peut dire autant de toute la partie pratique des religions : les rites vont se simplifiant de jour en jour, les dogmes aussi ; les hypothèses métaphysiques feront de même. Par le progrès de la pensée humaine, on en viendra à mieux connaître les directions dans lesquelles il faut aller pour se rapprocher de la vérité. Nous regardons comme certain, par exemple, qu’on renoncera bientôt, si on ne l’a déjà fait, à concevoir l’idéal sous le type du Dieu jaloux et méchant de la Bible.

L’angle des regards humains dirigés vers les diverses figures de l’idéal ira diminuant de plus en plus ; mais, à mesure que les intelligences seront ainsi moins divergentes, elles deviendront plus pénétrantes. Alors se produira cette conséquence inattendue, que les hypothèses sur le monde et ses destinées, pour être plus voisines les unes des autres, n’en resteront pas moins nombreuses ni moins variées. La pensée humaine pourra même devenir plus personnelle, plus originale et nuancée, tout en devenant moins contradictoire d’un homme à l’autre. À mesure qu’on entreverra mieux la vérité, les points de vue, au lieu de rester uniformes, acquerront plus de diversité dans le détail et plus de beauté dans l’ensemble. L’approche de la certitude augmente la grandeur et la probabilité des hypothèses sans en diminuer le nombre. L’astronomie par exemple, en approfondissant la voûte du ciel, a produit ce double résultat d’accroître la somme des vérités connues sur les corps célestes et de multiplier en même temps le nombre des hypothèses possibles induites de ces vérités mêmes ; le savoir le plus certain peut être ainsi le plus fécond en vues de toute sorte, même incertaines. À mesure que la pensée pénètre plus avant, elle voit les choses, en même temps, se diversifier dans leurs aspects et s’unifier dans leurs lois. Ce soir, de Sermione, la presqu’île chère à Catulle, je voyais sur la surface du lac de Garde briller autant d’étoiles que j’en pouvais apercevoir au plus profond des cieux :