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le panthéisme pessimiste. — erreurs psychologiques.

individuel, par l’effet de la solidarité toujours plus grande, est dominé plus que jamais aujourd’hui par le problème du bonheur social. Ce ne sont plus seulement nos douleurs présentes et personnelles, mais celles des autres, mais celles de la société, mais celles de l’humanité à venir qui deviennent pour nous un sujet de trouble. — Soit ; on peut discuter à perte de vue sur l’avenir ; nous n’avons pas le miroir magique où Macbeth voyait passer avec un serrement de cœur la file des générations futures, et nous ne pouvons lire d’avance le bonheur ou la misère sur le visage de nos fils. Dans le miroir de l’avenir humain c’est notre propre image que nous regardons, et nous sommes portés, en cette image de nous-mêmes, à faire comme les poètes, qui aiment à grandir leurs douleurs. Le problème social qui nous tourmente est infiniment complexe ; cependant nous croyons que les optimistes ont autant et plus de droit à l’envisager avec tranquillité que les pessimistes à le déclarer insoluble, alors surtout qu’il n’est posé d’une manière un peu moins obscure à la conscience humaine que depuis environ un demi-siècle.

Le problème social se divise en deux questions distinctes, l’une relative au conflit des intérêts, l’autre au conflit des volontés ennemies. Nous croyons que le côté économique du problème social sera résolu le jour où l’accroissement simultané de la crise sociale et de la connaissance scientifique aura amené les classes aisées à cette conviction, qu’elles risquent de tout perdre en voulant tout garder, et les classes inférieures à cette conviction correspondante, qu’elles perdraient tout en voulant tout prendre, qu’elles verraient se fondre entre leurs mains les richesses convoitées, qu’en partageant à l’excès le capital on le stérilise, comme on tue un germe en le divisant. Le socialisme a son remède dans la science, — alors même que l’instruction contribuerait au contraire pendant un temps à répandre le socialisme. De l’intensité même de la crise sortira l’apaisement. C’est au moment précis où les intérêts sont le plus parfaitement conscients de leurs réelles oppositions qu’ils sont le plus près d’arriver à un compromis : la guerre n’est jamais que le résultat d’une science incomplète sur la valeur comparative des forces et des intérêts en présence ; on se bat faute de calculer, mais les coups de canon ne sont eux-mêmes que des chiffres en mouvement, de tonnantes équations.

Le conflit des intérêts, une fois apaisé par le compromis