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le naturalisme moniste.

dit religieux, n’a son principe primordial dans la finalité ; elle est simplement à l’origine une fécondité plus ou moins aveugle, inconsciente ou mieux subconsciente. Cette fécondité, en prenant mieux conscience de soi, se règle, se rapporte à des objets de plus en plus rationnels : le devoir est un pouvoir qui arrive à la pleine conscience de soi et s’organise. De même que l’idée d’une fin préconçue n’a pas besoin de régler, dès le début, la marche de l’humanité, elle n’a pas besoin non plus de régler celle de la nature.


Avec ces données positives, il s’agit de savoir quel aspect prendra pour nous l’homme et le monde. Le naturalisme moniste laisse-t-il une place aux espérances sur lesquelles s’est toujours appuyé le sentiment moral et métaphysique, dans ses efforts pour faire de la pensée et de la bonne volonté autre chose que « vanité ? »

Si on peut concevoir l’évolution comme ayant un but dès le commencement et étant providentielle en son ensemble — hypothèse métaphysique qui, malheureusement, ne s’appuie sur aucune induction scientifique —, on peut aussi la concevoir comme aboutissant à des êtres capables de se donner à eux-mêmes un but et d’aller vers ce but en entraînant après eux la nature. La sélection naturelle se changerait ainsi finalement eu une sélection morale et, en quelque sorte, divine. C’est là sans doute une hypothèse encore bien hardie, mais qui est pourtant dans la direction des hypothèses scientifiques. Rien ne la contredit formellement dans l’état actuel des connaissances humaines. L’évolution, en effet, a pu et dû produire des espèces, des types supérieurs à notre humanité : il n’est pas probable que nous soyons le dernier échelon de la vie, de la pensée et de l’amour. Oui sait même si l’évolution ne pourra ou n’a pu déjà faire ce que les anciens appelaient des « dieux ? »

De cette manière peut se trouver conservé le fond le plus pur du sentiment religieux : sociabilité non seulement avec tous les êtres vivants et connus par l’expérience, mais encore avec des êtres de pensée et des puissances supérieures dont nous peuplons l’univers. Pourvu que ces êtres n’aient rien pour ainsi dire d’antiréel, pourvu qu’ils puissent se trouver réalisés quelque part, sinon dans le présent, du moins dans l’avenir, le sentiment religieux n’offre plus rien lui-même d’incompatible avec le sentiment