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l’irréligion de l’avenir.

quoi non ? Toute négation, ici, n’est qu’une prévention née du découragement ; ce n’est pas l’expression d’une probabilité. Supposez encore un rayon franchissant l’espace en ligne droite sans y être réfléchi par aucun atome solide, aucune molécule d’air, et des yeux qui, dans l’éternelle obscurité, cherchent ce rayon sans pouvoir être avertis de son passage, tâchent de le découvrir au point précis où il perce l’espace. Le rayon va, s’enfonce dans l’infini, ne rencontre toujours rien, et cependant des yeux ouverts, une infinité d’yeux ardents le désirent et croient parfois sentir le frissonnement lumineux qui se propage autour de lui et accompagne sa percée victorieuse. Cette recherche sera-t-elle éternellement vaine ? — S’il n’y a pas de raison définitive et sans réplique pour affirmer, il y a encore moins de raison catégorique pour nier. Affaire de hasard, dira le savant ; de persévérance aussi et d’intelligence, dira le philosophe.

La possibilité même où nous nous trouvons aujourd’hui de nous poser de tels problèmes sur l’avenir des mondes, semble indiquer un rapprochement de fait par rapport à cet avenir : la pensée ne peut être en avant sur la réalité que jusqu’à un certain point ; la conception d’un idéal en présuppose la réalisation plus ou moins ébauchée. À l’âge tertiaire, nul animal ne spéculait sur la société universelle. Une conception vraie de l’idéal, si elle pouvait s’évaluer mathématiquement, représenterait sans doute un nombre énorme de chances favorables à sa réalisation ; se bien poser un problème, c’est commencer à le résoudre. Le calcul purement mathématique des probabilités extérieures n’exprime donc pas la réelle valeur des chances dans le domaine intellectuel et moral, parce qu’ici la possibilité, la probabilité, la force même de réalisation sont dans la pensée, qui est une concentration de chances intérieures et pour ainsi dire vivantes.

Outre l’infinité des nombres et l’éternité des temps, une nouvelle raison d’espérance est l’immensité même des espaces, qui ne nous permet pas de juger l’état à venir du monde uniquement sur notre système solaire et même stellaire. Sommes-nous les seuls êtres pensants dans l’univers ? — Nous avons déjà vu que, sans dépasser de beaucoup les données certaines de la science, on peut dès maintenant répondre non. Il se trouve très probablement une infinité d’astres éteints arrivés à peu près au même point de leur évolution que notre terre ; chacun de ces