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l’irréligion de l’avenir.

glisser sans qu’une secousse se propage à l’autre, n’arrache à la fois du sol toute la grappe humaine. Nihil humani alienum ; un même cœur bat en nous tous, et s’il s’arrêtait pour toujours dans une poitrine humaine, on le verrait, dans le cœur même des prétendus immortels, cesser aussi de battre. Les meilleurs, ceux qui seraient prêts à recevoir le baptême de l’immortalité, feraient comme ce chef barbare et païen qui, près de laver ses péchés en se plongeant dons l’eau sacrée du baptistère, ayant son salut sous la main et le paradis devant les yeux, demanda tout à coup quel serait le sort de ses compagnons tombés avant lui, morts sans la foi, et s’il pourrait les retrouver dans le ciel. « Non, répondit le prêtre, ils seront parmi les misérables damnés, et toi parmi les bienheureux. » — « J’irai donc parmi les damnés, car je veux aller où sont mes compagnons d’armes. Adieu. » Et il tourna le dos au baptême sauveur.

L’hypothèse de l’immortalité conditionnelle ne peut donc se soutenir que si on élimine l’idée d’un Dieu créateur, celles de mérite absolu, de vertu, de charité universelle et infinie ; elle devient alors la croyance à une sorte de nécessité naturelle ou métaphysique qui atteint ou n’atteint pas les êtres selon leur degré de perfection, comme la pesanteur fait tomber certains corps et s’élever certains autres. Cette hypothèse est essentiellement antiprovidentielle et ne s’harmonise qu’avec les systèmes plus ou moins analogues au spinozisme.

En général, l’idée de vie éternelle étant tout à fait transcendante, on ne peut faire à ce sujet que des rêves plus ou moins mystiques. Quittons donc ce domaine pour nous rapprocher de la nature et de l’expérience. Au lieu de parler d’éternité, parlons de survivance et d’une immortalité non pas conditionnelle, mais conditionnée en fait par les lois même de la matière ou de l’esprit, et à laquelle d’ailleurs tous pourraient arriver un jour.


II. — Commençons par ce qui est le plus voisin de l’expérience positive et cherchons, dans ce domaine, ce dont la philosophie de l’évolution nous permet le mieux d’espérer l’immortalité. Il y a pour ainsi dire, dans la sphère de la conscience, des cercles concentriques qui vont se rapprochant de plus en plus du centre insondable : la personne. Passons en revue ces diverses manifestations de la personna-