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l’immortalité dans le naturalisme moniste.

lité pour voir si elles offriront quelque chose d’impérissable.

La sphère du moi la plus extérieure en quelque sorte et la plus observable, ce sont nos œuvres et nos actions. Quand il ne s’agit que d’œuvres toutes matérielles, comme une maison qu’on a construite, un tableau qu’on a peint, une statue qu’on a sculptée, on peut trouver qu’il y a trop de distance et une séparation trop grande entre l’ouvrier et l’œuvre : être immortel dans ses œuvres ressemble trop alors à une sorte d’illusion d’optique. Mais, s’il s’agit d’œuvres intellectuelles et surtout morales, il y a déjà un rapprochement entre l’objet et la cause d’où il est sorti. On comprend alors ce que peut renfermer de vrai cette doctrine de haute impersonnalité et d’entier désintéressement selon laquelle on vit là où on agit. Il y a ici mieux qu’une œuvre matérielle, il y a une action d’ordre intellectuel et moral. L’homme de bien est précisément celui qui veut avant tout vivre et revivre dans ses bonnes actions ; le penseur, dans les pensées qu’il a léguées au patrimoine humain et qui continuent la sienne. Cette doctrine se retrouve au fond de presque toutes les grandes religions, et c’est celle qui peut le mieux subsister même dans le domaine purement scientifique. Selon les bouddhistes modernes de l’Inde, nos actions sont « l’âme de notre vie » ; c’est cette âme qui reste après l’existence d’un jour, et la transmigration des âmes n’est que la transformation constante du bien dans le mieux, du mal dans un mal plus hideux : l’immortalité de notre âme est l’immortalité de notre action même, se mouvant à jamais dans le monde et le mouvant à son tour selon sa propre force ou, ce qui revient au même, selon sa propre valeur.

Les générations se succèdent à l’œuvre, se passent l’une à l’autre l’espérance. Heri meum, tuum hodie, hier fut à moi, je l’ai passé à faire du bien, — pas assez de bien ; aujourd’hui est à toi : emploie-le tout entier, ne laisse perdre aucune de ces heures dont chacune, si elle meurt stérile, est comme une chance de réaliser l’idéal qui s’éteint entre les mains des hommes. Tu es maître d’aujourd’hui : tâche que demain soit à ton idéal, que demain soit toujours en avant sur aujourd’hui, que l’horizon sur lequel se lèvent les jours des hommes soit sans cesse plus lumineux et plus haut.

Suivons l’action dans ses effets, dans les mouvements où elle se prolonge, dans les traces qui sont comme les résidus de ces mouvements. Notre action va plus loin que