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la physique religieuse et le sociomorphisme.

l’ai moi-même acceptée, bien que, je m’en souviens, avec un vague sentiment de mécontentement. Ce mécontentement devint un doute quand je fus mieux renseigné sur les idées des sauvages. Du doute je passai à la négation, quand j’eus rangé, sous forme de tableau, les faits empruntés aux races les plus dégradées. »

M. Spencer entreprend même de démontrer a priori la fausseté de l’hypothèse fétichiste. Qu’est-ce qu’un fétiche, selon lui ? Un objet inanimé qu’on suppose contenir un être autre que celui que les sens nous font connaître. Combien une telle conception est complexe et au-dessus de la portée des esprits primitifs ! Le sauvage est tellement incapable d’abstraction qu’il ne peut ni concevoir ni exprimer une couleur à part des divers objets colorés, une lumière à part de celle des astres ou du feu, un animal qui ne serait pas un chien, un bœuf ou un cheval, et on lui demande de se représenter un agent animé dans une chose inanimée, une puissance invisible présente dans un objet visible, un esprit, en un mot ! C’est bien la conception d’un esprit que présupposerait, suivant M. Spencer, toute conception fétichiste ; or, l’homme primitif ne peut certainement pas arriver à la notion d’un esprit par la seule observation de la nature. Avant de projeter cette idée complexe dans les choses, il faut qu’il l’ait préalablement construite et pour cela, d’après M. Spencer, il faut qu’il se soit fait un système, sur la mort, qu’il ait imaginé la suirvivance de l’âme au cadavre, conçu enfin comme possible la séparation d’un corps et de son principe moteur. C’est à ses idées sur la mort que l’homme aurait emprunté sa conception de la vie dans la nature. Tout fétiche est un esprit, tout esprit ne peut être, pour une intelligence primitive, que l’esprit d’un mort. Il a donc fallu que le culte des morts, le spiritisme, précédât le fétichisme ; ce dernier n’en est qu’une extension, un « produit aberrant[1]. »


III. Telle est la théorie de M. Spencer. Il aurait raison si les partisans du fétichisme primitif entendaient comme lui, par fétiche, un objet malériel où l’adorateur imagine la présence d’un agent mystérieux distinct de cet objet même. Mais une telle distinction est-elle donc nécessaire, du moins l’origine du fétichisme, ou, comme on dit aujoind’hui, du « naturisme ? » Voici une roche qui,

  1. M. Spencer, Princ. de sociologie, t. I, p. 445.