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la physique religieuse et le sociomorphisme.

cette forme de la religion a dû précéder le spiritisme, qui s’appuie toujours sur une métaphysique rudimentaire.

Pour les animaux et les sauvages, comme pour les très jeunes enfants, la nature est, croyons-nous, absolument le contraire de ce qu’elle apparaît de nos jours à l’œil du savant ou du philosophe : ce n’est pas un milieu froid et neutre où l’homme seul a un but et plie tout à ce but, un cabinet de physique où il y a des instruments inertes et une seule pensée pour s’en servir. Loin de là, la nature est une société, les peuples primitifs voient des intentions derrière les phénomènes. Des amis ou des ennemis les entourent ; la lutte de la vie devient une bataille en règle avec des alliés imaginaires contre des adversaires souvent trop réels. Comment pourraient-ils comprendre l’unité profonde de la nature, qui exclut, dans la chaîne des choses, toute individualité, toute indépendance ? La cause qui produit chez eux le mouvement étant un désir, ils supposent que tout mouvement dans la nature, comme le mouvement des hommes et des animaux, s’explique également par quelque désir, quelque intention, et qu’on peut modifier par la prière ou les offrandes les intentions des divers êtres avec lesquels on se trouve en rapport et en société. Leur conception de la nature est ainsi anthropomorphique et sociomorphique, comme le sera celle qu’ils se feront de Dieu même. Rien de plus inévitable que cette façon de se représenter le fond des choses extérieures sur le tvpe intérieur fourni par la conscience, et le rapport des choses sur le type des relations de société.

Si, pour désigner cette marche primitive de l’esprit, le mot fétichisme est trop vague et donne lieu à des confusions, qu’on en cherche un autre : le mot panthélisme, s’il n’était un peu barbare, exprimerait mieux cet état de l’intelligence humaine, qui place tout d’abord dans la nature non pas des « esprits », plus ou moins distincts des corps, mais simplement des intentions, des désirs, des volontés inhérentes aux objets mêmes.

Ici on nous interrompra peut-être pour nous rappeler, avec M. Spencer, que la distinction entre les choses inanimées et les êtres animés est déjà très claire pour la brute : à plus forte raison le sera-t-elle pour l’homme ; il n’attribuera donc pas de désir ou de volonté à une chose qu’il sait inanimée. — Animé, inanimé, en présence de quels mots vagues nous nous trouvons encore ! Sous chacun de ces termes, l’homme moderne sous-entend une foule d’idées