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l’animisme et la société avec les esprits.

un monisme vague relativement à l’âme et au corps, qui tout d’abord ne font qu’un. Le monde entier est une société de corps vivants.

La conception la plus voisine de la précédente, c’est celle d’âmes distinctes, de souffles animant les corps, d’esprits capables de quitter leur demeure. C’est ce que les historiens des religions appellent l’animisme. Ce qui est remarquable dans cette conception, c’est son caractère dualiste. L’opposition du corps et de l’âme y est en germe. Cette conception dualiste se forme lentement par un groupement d’analogies naïves. Les premières sont tirées de la respiration. Le souffle animateur des corps vivants, ne l’entend-on pas sortir dans le dernier soupir ? D’autres analogies sont tirées de l’ombre ; ne semble-t-il pas qu’on voie l’esprit marcher à côté des corps sous cette forme de l’ombre, changer de place, même quand les corps sont immobiles ? L’ombre a joué un grand rôle dans la paraphysique de tous les peuples primitifs, et les « ombres » ont fini par peupler les enfers. En troisième lieu, pendant le sommeil, il est incontestable pour les peuples primitifs que l’esprit fait quelquefois de longs voyages, car le dormeur se rappelle souvent avoir erré, chassé ou guerroyé dans les pays lointains, alors que personne n’a vu son corps bouger. En quatrième lieu, l’évanouissement semble encore un cas où, tout à coup, quelque chose qui nous animait fait une absence, puis revient. La chose est encore plus frappante dans la léthargie. En cinquième lieu, les visions du délire, les hallucinations de la folie ou même du rêve ont pour objet des êtres qui sont invisibles à autrui, êtres fantastiques qui paraissent aux sauvages aussi réels que les autres. On sait d’ailleurs que les fous et les innocents ont longtemps passé, jusque chez les peuples modernes, pour inspirés et sacrés. Les autres maladies nerveuses, hystérie, possession des démons, somnambulisme, ne pouvaient manquer de rendre plus précise encore la conception d’esprits animant le corps, s’y introduisant, le quittant, le tourmentant, etc.

Ainsi se formait par degrés la conception d’êtres subtils, échappant au tact et habituellement même à la vue, capables d’avoir une vie indépendante des corps et plus puissante. L’homme se trouvait en société avec des êtres autres que ceux qui tombent tout d’abord et ordinairement sous ses sens : c’était la société des esprits.

Ce n’est pas tout. De bonne heure le problème de la mort