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la providence et la société avec les dieux.

des prisonniers troyens, avec les chevaux et les chiens de son ami. Les Fidjiens immolaient un homme au pied de chaque pilier de la case d’un chef, pour attacher un esprit à la conservation de l’édifice. De nos jours, les esprits sont encore si nombreux aux yeux de certains peuples, que l’Arabe, en jetant une pierre devant lui, demande pardon aux esprits qu’il a pu frapper[1]. La société anthropomorphique finit donc par envahir l’univers.

On confiait aux esprits le soin de ses vengeances. D’après Tylor, deux brahmanes, croyant qu’un homme leur avait volé cinquante roupies, prirent leur propre mère et, de son consentement, lui coupèrent la tête, afin que son ombre pût tourmenter et poursuivre le voleur jusqu’à sa mort. Chez les Alfourous des Moluques on enterre des enfants vivants jusqu’au cou, et on les laisse là, en plein soleil, en leur introduisant du sel et du poivre dans la bouche pour exciter leur soif jusqu’à leur mort, de façon à les mettre en fureur et à pouvoir lancer leur esprit exaspéré contre l’ennemi à punir. C’est toujours un rapport social, c’est le sentiment de la haine, de la vengeance, de la punition, qui cherche à se satisfaire dans la sphère des esprits.

En somme, il résulte de tous les travaux historiques que l’animisme ou polydémonisme a été universel chez les peuples : il a succédé immédiatement au fétichisme ou naturisme concret, dans lequel on ne distinguait pas l’esprit animateur du corps animé.

La croyance aux esprits séparés, le « spiritisme » comme dit M. Spencer (qui contient en germe, sans s’y ramener, la croyance particulière aux revenants), est l’origine primitive du système métaphysique plus raffiné appelé spiritualisme. Ce dernier système, également fondé sur la notion d’une dualité en nous et en tout être vivant, aboutit à la notion d’une société spirituelle.

Voyons maintenant comment l’animisme ne pouvait manquer de devenir un théisme et sous quelle forme.


II. — LA PROVIDENCE ET LE MIRACLE


De l’idée d’un esprit à celle d’une divinité, il n’y a qu’un pas. Il suffit de concevoir l’esprit comme assez puissant et

  1. Voir Le Bon, l’Homme et les Sociétés, t. ILII.