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LE TEMPS ET LA MÉMOIRE

trouve enfin sa place ; elle est fixée, elle est reconnue. Dans cet exemple, le souvenir du voyage est ce que M. Ribot appelle son « point de repère ». Le point de repère est un événement, un état de conscience dont nous connaissons bien la position dans le temps, c’est-à-dire l’éloignement par rapport au moment actuel, et qui nous sert à mesurer les autres éloignements. « C’est un état de conscience qui, par son intensité, lutte mieux que d’autres contre l’oubli, ou qui, par sa complexité, est de nature à susciter beaucoup de rapports, à augmenter les chances de réviviscence. Ces points de repère ne sont pas choisis arbitrairement, ils s’imposent à nous. » Ajoutons, pour notre part, qu’ils sont toujours pris dans l’étendue ou liés à l’étendue. Ainsi le voyage dont parle M. Ribot était une série de scènes dans l’espace. Même si on prend pour point de repère quelque grande douleur morale ou quelque grande joie, cette douleur, cette joie est inévitablement localisée dans l’espace, et c’est seulement par là qu’elle peut être localisée dans le temps, puis servir elle-même de point de repère à de nouvelles localisations dans le temps. C’est donc bien tout d’abord par l’espace que nous fixons et mesurons le temps.