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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

Vous vous rappellerez ce que vous avez fait pendant un certain temps dans tel milieu, et vous comparerez ce souvenir à vos impressions présentes, pour dire : « C’est de longueur à peu près égale ou inégale. » Réduit à une durée sans espace, vous ne pourriez arriver à aucune mesure. Voilà pourquoi, pour mettre quelque chose de fixe dans ce perpétuel écoulement du temps, on est obligé de le représenter sous forme spatiale.

Le sens externe qui a le plus servi, après les sens internes, à tirer le temps de l’espace, à lui donner une dimension à part, c’est l’ouïe, précisément parce que l’ouïe ne localise que très vaguement dans l’espace, tandis qu’elle localise admirablement dans la durée. Un animal est couché immobile au milieu d’un paysage immobile : un son se fait entendre une fois, puis deux fois, puis trois fois : il y a là une série en contraste avec l’immuable tableau de l’espace : c’est comme l’incarnation du temps dans le son. L’ouïe s’est développée en raison de son utilité pour avertir l’animal de la proximité d’un ennemi. De là à distinguer le premier tableau extérieur sans le son, puis le second tableau avec le son, puis le troisième tableau avec l’ennemi apparaissant, il n’y a pas loin. Cette chose invisible et intangible, le son,