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LE TEMPS ET LA MÉMOIRE

nombre de ses petits a diminué ou augmenté. Certaines peuplades humaines sont incapables de compter au delà de deux. Les Damaras sont de ce genre ; cependant ils mènent d’immenses troupeaux de bœufs, et remarquent fort bien quand l’une des têtes de leur bétail vient à manquer. Pour évaluer le nombre de nos sensations, nous procédons à la manière des animaux et des sauvages, — à vue d’œil et par approximation. Le résultat de cette évaluation, c’est à la fois la longueur apparente du temps et l’étendue de l’espace parcouru pendant ce temps.

Ce qui prouve bien que nous mesurons le temps au nombre des sensations et nullement à leur durée véritable, c’est la façon dont nous évaluons approximativement la longueur d’un rêve. Là, plus de mesure artificielle du temps : le tic-tac d’une montre ne donne plus les heures. Eh bien, dans cette appréciation où n’entre plus d’autre élément que la conscience, c’est uniquement au nombre des images passées devant nos yeux que nous nous en référons pour juger du temps écoulé, et de là les erreurs les plus singulières. Tel rêve paraît avoir duré plusieurs heures qui n’a duré en réalité que quelques secondes. On connaît l’exemple d’un