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LES ILLUSIONS DU TEMPS

les plus facilement représentables à la mémoire, conséquemment les plus faciles à loger dans la perspective du temps ? Ce sont, outre les grandes émotions, les représentations spatiales. Nos plaisirs et nos peines physiques ne se représentent que vaguement et en gros à la mémoire, nos peines et plaisirs moraux empruntent leur netteté aux idées, qui elles-mêmes empruntent leur précision aux lieux, au milieu visible. De là vient que, comme on l’a vu, pour imaginer le temps, nous imaginons surtout des espaces, et nous apprécions la longueur des temps par la quantité d’espaces ou de scènes spatiales que nous intercalons entre les deux limites.

James Sully compare donc avec raison certaines illusions sur la distance dans le temps à des illusions parallèles sur la distance dans l’espace. Regardez la Jungfrau de la Wengernalp : il semble que vous allez, en lançant une pierre, franchir la vallée profonde et atteindre le glacier éblouissant de blancheur. C’est que rien ne s’interpose, dans la transparence de l’air, entre vous et cette vision si nette : les points de repère vous manquent, et vous dites : c’est tout près. De même, s’il est des événements frappants qui nous semblent d’hier, c’est que nous ne pouvons parcourir tous les