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PREMIER APPENDICE

sintéressée. L’histoire a pour caractéristique de grandir et de pétiter toute chose. Par l’histoire il se fait une épuration ne laissant subsister que les caractères esthétiques et grandioses ; les objets les plus infimes se trouvent dépouillés de ce qu’il y a de trivial, de commun, de vulgaire, de grossier et de surajouté par l’usage journalier : il ne reste en notre esprit, des objets replacés ainsi dans le temps passé, qu’une image simple, l’expression du sentiment primitif qui les a faits ; et ce qui est simple et profond n’a rien de vil. Une pique du temps des Gaulois ne nous rappelle que la grande idée qui a fait l’arme, quelle qu’elle soit : l’idée de défense et de force ; la pique, c’est le Gaulois défendant ses foyers et la vieille terre gauloise. Une arquebuse du temps des croisades n’éveille en nous que les images fantastiques du lointain des temps, des vieilles luttes entre les races du nord et du midi. Mais un fusil Gras, un sabre, c’est pour nous le pantalon rouge et trop large du soldat qui passe dans la rue, avec sa figure souvent rougeaude et mal éveillée de paysan qui sort de son village. Donc tout ce qui arrive à nous à travers l’histoire nous apparaît dans sa simplicité ; au contraire, l’utile de chaque jour, avec sa surcharge de trivialité, reste prosaïque ; et voilà pourquoi l’utile devenu historique devient beau.

L’antique est une sorte de réalité purifiée par le temps. « Tout âge, dit Elisabeth Browning, en raison même de sa perspective trop rapprochée, est mal aperçu de ses contemporains. Supposons que le mont Athos ait été sculpté, selon le plan d’Alexandre, en une colossale statue humaine. Les paysans qui eussent ramassé les broussailles dans son oreille