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LE TEMPS ET LA MÉMOIRE

velle, suit des voies déjà tracées, il le fera avec plus de facilité : il glissera sans appuyer. On a dit : la pente du souvenir, la pente de la rêverie ; suivre un souvenir, en effet, c’est se laisser doucement aller comme le long d’une pente, c’est attendre un certain nombre d’images toutes faites qui se présentent l’une après l’autre, en file, sans secousse. De là, entre la sensation présente et le souvenir du passé, une différence profonde. Toutes nos impressions se rangent par l’habitude en deux classes : les unes ont une intensité plus grande, une netteté de contours, une fermeté de lignes qui leur est propre ; les autres sont plus effacées, plus indistinctes, plus faibles, et cependant se trouvent disposées dans un certain ordre qui s’impose à nous. Reconnaître une image, c’est la ranger dans la seconde des deux classes, qui est celle du temps. On sent alors d’une façon plus faible, et on a conscience de sentir de cette façon. C’est dans cette conscience : 1o de l’intensité moindre d’une sensation, 2o de sa facilité plus grande, et 3o du lien qui la rattache d’avance à d’autres sensations, que consiste le souvenir, et c’est aussi par là que se produit la perspective du temps. Comme un œil exercé distingue une copie d’un tableau de maître, de