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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

même nous apprenons à distinguer un souvenir d’une sensation présente, et nous savons discerner le souvenir avant même qu’il soit localisé dans un temps ou un lieu précis. Nous projetons telle ou telle impression dans le passé avant de savoir à quelle période du passé elle appartient. C’est que le souvenir garde toujours un caractère propre et distinctif, comme une sensation venue de l’estomac diffère d’une sensation de la vue ou de l’ouïe. De même, le phonographe est incapable de rendre la voix humaine avec toute sa puissance et sa chaleur : la voix de l’instrument reste toujours grêle et froide ; elle a quelque chose d’incomplet, d’abstrait, qui la fait distinguer. Si le phonographe s’entendait lui-même, il apprendrait à reconnaître la différence entre la voix venue du dehors, qui s’imprimait de force en lui, et la voix qu’il émet lui-même, simple écho de la première qui trouve un chemin déjà ouvert.

Il existe encore cette analogie entre le phonographe et notre cerveau, que la rapidité des vibrations imprimées à l’instrument peut modifier notablement le caractère des sons reproduits ou des images évoquées. Dans le phonographe, vous faites passer une mélodie d’une octave à une autre selon que vous communi-