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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

l’attention et de l’émotion, ne me semble plus dater que d’hier : ainsi les chanteurs produisent des effets de lointain en baissant la voix, et ils n’ont qu’à l’élever pour paraître se rapprocher.

On pourrait multiplier sans fin ces analogies. La différence essentielle entre le cerveau et le phonographe, c’est que, dans la machine encore grossière d’Edison, la plaque de métal reste sourde pour elle-même, la traduction du mouvement en conscience ne s’accomplit pas ; cette traduction est précisément la chose merveilleuse, et c’est ce qui se produit sans cesse dans le cerveau. Il reste ainsi toujours un mystère, mais ce mystère est, sous un rapport, moins étonnant qu’il ne le semble. Si le phonographe s’entendait lui-même, ce serait peut-être moins étrange que de penser que nous l’entendons ; or, en fait, nous l’entendons ; en fait, ses vibrations se traduisent en nous par des sensations et des pensées. Il faut donc admettre une transformation toujours possible du réel du mouvement en pensée,[1] transformation bien plus vraisemblable quand il s’agit d’un mouve-

  1. Nous ne disons pas du mouvement même, conçu comme changement de rapports.