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HELVÉTIUS

tout-puissant, donc tout ce qu’il décrète est bon ; le législateur, dit Helvétius, est tout-puissant; mais cette toute-puissance n’est qu’un moyen ayant pour but le plus grand intérêt.

Pour Hobbes, la fin, le bien suprême, devenait, après plusieurs transformations, l’intérêt du souverain ; pour Helvétius le but à poursuivre, c’est l’intérêt de tous, identifié avec celui de chacun par la loi, et à l’aide de deux moyens : punir et instruire. – C’est là une idée importante, qui fera désormais partie intégrante de tous les systèmes utilitaires. Assistons au développement de cette idée dans le livre De l’esprit et dans celui De l'homme.

I. — Comme Hobbes, Helvétius commence par nous annoncer qu’il a entrepris de traiter scientifiquement la morale ; il espère même arriver à lui donner une exactitude aussi scrupuleuse qu'à la géométrie. Ici, rationalistes ou utilitaires ne peuvent guère que l’approuver. Seulement, tandis que Hobbes et surtout Spinoza entendaient établir la morale, comme la géométrie, par la déduction, Helvétius veut l’élever sur cette « pyramide des faits » dont parlait Bacon, et « faire une morale comme une physique expérimentale », en la ramenant à un principe unique, la sensation. C’est chez Helvétius que se trouve pour la première fois en France, sinon dans les mots, du moins dans le fait, l’opposition plus tard accusée par les utilitaires anglais entre la morale inductive et la morale intuitive[1]. Helvétius va donc s’efforcer de construire ce que Kant appellera une « physique des mœurs », sans aucun élément métaphysique ni même moral : substitution de la physique à la morale, tel est son but.

Le premier postulat sur lequel s’appuient les sciences physiques et mathématiques, c’est l’hypothèse de la nécessité universelle, condition de la régularité des phénomènes. Tel est aussi, en quelque sorte, le postulat demandé par toute morale expérimentale : « Nos pensées et nos volontés sont des suites nécessaires des impressions que nous avons reçues... Un traité philosophique de la liberté morale ne serait qu’un traité des effets sans cause[2]. »

  1. De l’espr., préf.; De l’homme, II, 19.
  2. De l’espr., I, 4.