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CHAPITRE V


L’ESPRIT ÉPICURIEN EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE


I. — La Mettrie, prédécesseur d’Helvetius. — L’Anti-Sénèque. — Critique du désintéressement ; critique du remords. — Y a-t-il une loi morale pour les animaux ? — Que le bonheur peut s’accorder avec l’injustice.
II. — Mouvement qui porte le système épicurien vers les idées humanitaires. — Dalembert. — D’Holbach. La vertu, sa propre récompense. — Saint Lambert.
III. — Politique utilitaire. — D’Holbach, Dalembert. — La liberté, l’égalité et la fraternité utilitaires.
IV. — L’utilitarisme humanitaire ramène de nouveau par Volney à l’égoïsme. — Que la morale épicurienne en France, au début et à la fin de son développement, se montre de la plus rigoureuse logique.
V. — Pourquoi l’esprit français, au xviiie siècle, fut en général utilitaire et embrassa avec ardeur les idées épicuriennes.

I. — Helvétius est en France, au xviiie siècle, le plus célèbre représentant des doctrines épicuriennes, celui dont les idées répandues dans toute l’Europe avec rapidité[1] ont eu le plus d’influence ; ce n’est pourtant point le seul : autour de lui il faut ranger une véritable pléïade d’écrivains. Cette foule de penseurs utilitaires qui, chez les Anglais, s’est succédée avec de rares interruptions depuis Hobbes jusqu’à Stuart-Mill et Bain, semble en France être apparue simultanément à une seule époque de notre histoire.

Chez Helvétius, la doctrine de l’intérêt frappe par son caractère de rigueur et de logique. Point de confusion entre l’intérêt personnel et l’intérêt social : je ne puis et ne dois agir conformément à l’utilité sociale que si l’utilité sociale s’est rendue elle-même conforme à mon utilité propre. Cette doctrine logiquement déduite, nous la trouvons plus accentuée encore chez La Mettrie, cet Epicurien convaincu, qui prit plaisir à recommencer l’antique lutte contre le stoïcisme et dont l’Anti-Sénèque

  1. Le livre De l’esprit a eu plus de cinquante éditions tant en France qu’à l’étranger.