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CONTINGENCE ET LIBERTÉ

volonté. Nous déclinons, nous aussi, nos mouvements sans qu’on puisse d’avance déterminer le temps ni l’endroit de l’espace, mais comme l’a voulu notre esprit même. Car sans aucun doute c’est la volonté de chacun qui est le principe de ces actions, et c’est de là que les mouvements se répandent à travers les membres. »

On voit quelle unité règne dans la conception d’Epicure : non-seulement le monde se suffit à lui-même, mais il suffit à expliquer l’homme et la liberté que l’homme croit sentir en lui. La nature et l’homme sont tellement solidaires, qu’on ne peut trouver chez l’un quelque chose d’absolument nouveau qui manquerait à l’autre : voulons-nous qu’on reconnaisse en nous-mêmes un principe de spontanéité et de liberté, ne le retirons pas entièrement des choses. On ne peut pas faire sa part à la necessité et dire : elle règne tout autour de nous, mais elle ne règne pas sur nous. « Epicure avoue, dit Cicéron, qu’il n’eût pu poser de bornes à la fatalité s’il ne se fût réfugié dans l’hypothèse de la déclinaison[1]. » « C’est, dit-il encore, par le mouvement spontané de déclinaison qu’Epicure croit possible d’éviter la nécessité du destin. Il mit en avant cette hypothèse parce qu’il craignit que, si toujours l’atome était emporté par la pesanteur naturelle et nécessaire, nous n’eussions rien de libre ; car l’âme serait mue de la même manière, de sorte qu’elle serait contrainte par le mouvement des atomes. Démocrite, lui, l’inventeur des atomes, avait mieux aimé accepter que toutes choses se fissent par nécessité, que d’ôter aux atomes leurs mouvements naturels[2]. » Démocrite et Epicure sont

  1. De fato, 20. « Qui aliter obsistere fato fatetur se non potuisse, nisi ad has commentitias declinationes confugisset. »
  2. Ibid., 10. « Epicurus declinatione atomi vitari fati necessitatem putat... Hanc Epicurus rationem induxit ob eam rem, quod veritus est ne, si semper atomus gravitate ferretur naturali ac necessaria, nihil liberum nobis esset, quum ita moveretur animus, ut atomorum motu cogeretur. Hinc Democritus auctor atomorum accipere maluit, necessitate omnia fieri, quam a corporibus individuis naturales motus avellere. » — De nat. deor., I, 25. « Epicurus, quum videret, si atomi ferrentur in locum inferiorem suopte pondere, nihil fore in nostra potestate, quod esset earum motus certus et necessarius, invenit quo modo necessitatem effugeret… Ait atomum, quum pondere et gravitate directo deorsus feratur, declinare paullulum. »