Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/191

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vie que celle d’un habitant qui a une bonne terre.

— Pas dans ce pays-ci, madame Chapdelaine. Vous êtes trop loin vers le nord ; l’été est trop court ; le grain n’a pas eu le temps de pousser que déjà les froids arrivent. Quand je remonte par icitte à chaque voyage, venant des États, et que je vois les petites maisons de planches perdues dans le pays, si loin les unes des autres et qui ont l’air d’avoir peur, et le bois qui commence et qui vous cerne de tous côtés… Batêche, je me sens tout découragé pour vous autres, moi qui n’y habite plus, et j’en suis à me demander comment ça se fait que tous les gens d’icitte ne sont pas partis voilà longtemps pour s’en aller dans les places moins dures, où on trouve tout ce qu’il faut pour faire une belle vie, et où on peut sortir l’hiver et aller se promener sans avoir peur de mourir…

Sans avoir peur de mourir… Maria frissonna tout à coup et songea aux secrets sinistres que cache la forêt verte et blanche. C’était vrai, ce que disait là Lorenzo Surprenant ; c’était un pays sans pitié et sans douceur. Toute l’inimitié menaçante du dehors, le froid, la neige profonde, la solitude semblèrent entrer soudain dans la maison et s’asseoir autour du poêle comme un essaim de mauvaises fées, avec des