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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

nue le pont que tu as commencé. Nous nous retirerons à trois journées de ce fleuve pour te donner le temps de passer dans notre pays ; ou, si tu aimes mieux nous recevoir dans le tien, fais comme nous. »

Cyrus, après avoir entendu ce discours, convoqua les principaux d’entre les Perses, et, ayant mis l’affaire en délibération, il voulut avoir leur avis. Ils s’accordèrent tous à recevoir Tomyris et son armée sur leurs terres.

CCVII. Crésus, qui était présent aux délibérations, désapprouva cet avis, et en proposa un tout opposé. « O roi, dit-il à Cyrus, je t’ai déclaré dès le premier jour que, Jupiter m’ayant livrė en ta puissance, je ne cesserais de faire tous mes efforts pour tàcher de détourner de dessus ta tête les malheurs qui te menacent. Mes adversités me tiennent lieu d’instruction. Si tu te crois immortel, si tu penses commander une armée d’immortels, je n’ai que faire de te dévoiler ma pensée. Mais si tu reconnais que tu es aussi un homme, et que tu ne commandes qu’à des hommes comme toi, considère d’abord les vicissitudes humaines figure-toi une roue qui tourne sans cesse, et ne nous permet pas d’être toujours heureux. Pour moi, sur l’affaire qui vient d’être proposée, je suis d’un avis totalement contraire à celui de ton conseil. Si nous recevons l’ennemi dans notre pays, et qu’il nous batte, n’est-il pas à craindre que tu perdes ton empire ? Car si les Massagètes ont l’avantage, il est certain qu’au lieu de retourner en arrière ils attaqueront tes provinces. Je veux que tu remportes la victoire sera-t-elle jamais aussi complète que si, après avoir défait tes ennemis sur leur propre territoire, tu n’as plus qu’à les poursuivre ? J’opposerai toujours à ceux qui ne sont pas de ton avis que, si tu obtiens la victoire, rien ne pourra plus t’empêcher pénétrer sur-le-champ jusqu’au centre des États de Tomyris. Indépendamment de ces motifs, ne serait-ce pas une chose aussi insupportable que honteuse pour Cyrus, fils de Cambyse, de reculer devant une femme ?

« Mon opinion est que tu dois passer le fleuve, avancer à mesure que l’ennemi s’éloignera, et ensuite essayer de vaincre par le moyen que je vais dire. Je sais que les Massagėtes ne connaissent pas les délices des Perses, et qu’ils manquent des commodités de la vie. Qu’on égorge donc une grande quantité