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en France le champ libre. Dès lors ou distingue visiblement un double courant dans le flux lent, mais soutenu, de l’émigration française. Genève continue à attirer les gens que le zèle religieux anime, pour qui prier Dieu dans ses temples célèbres et entendre la parole de la bouche des successeurs de Calvin est le premier des besoins. Les esprits actifs, indépendants, portés vers la guerre, se tournent de préférence du côté de la Hollande, où ils trouveront pour leur vie une discipline moins contraignante, pour leurs écrits des éditeurs moins surveillés, et l’intelligence, le goût, sinon l’usage populaire de la langue française[1]. Ce petit coin de terre perdu au milieu des sables et des marais devint bientôt le foyer de l’opposition libérale et protestante contre le principe monarchique et catholique, personnifié dans Louis  XIV. Cette guerre contre la personne, le gouvernement et les idées du grand roi, dura plus d’un siècle. La Hollande lança contre lui ses vaisseaux, sa diplomatie, son stathouder, son argent, ses livres. Tandis que Guillaume d’Orange réunissait dans un suprême effort toutes les forces de l’Europe coalisée contre la France, les libraires de La Haye et d’Amsterdam se liguaient, de leur côté, pour achever d’accabler

  1. « La langue française est si connue dans ce pays-ci, écrivait Bayle en 1684 (Nouvelles lettres, t. ii, p. 20), que les livres français y ont plus de débit que tous les autres ; il n’y a guère de gens de lettres qui n’entendent le français, quoiqu’ils ne le sachent pas parler. »