Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 2.djvu/346

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soin principal était de rendre nos critiques solides, équitables et modérées, et, autant qu’il nous était possible, de veiller, pour ainsi dire, à la porte du temple du goût, pour empêcher l’irruption de l’ignorance et du faux bel esprit. Je conserverai toujours un vif regret de la perte de cet ami. C’en est une très-grande, non seulement pour moi, mais pour la république des lettres en général, et pour tous ceux qui le connaissaient particulièrement. Il avait une droiture qui rendait son commerce sûr. Il aimait la vérité en toutes choses, et la même chaleur d’imagination qui l’en éloignait quelquefois l’y ramenait aussitôt qu’on le mettait sur la voie de l’apercevoir. Malgré l’étendue et la vivacité de ses lumières, il ne se montra jamais opiniâtre dans ses sentiments. Son esprit orné et son humeur gaie rendaient sa conversation amusante et enjouée. Il saisissait et peignait bien le ridicule, surtout celui des gens de lettres, mais sans haine, sans malignité, sans envie ; il n’était critique que dans le goût d’Horace et de Lucien, c’est-à-dire en philosophe ; d’ailleurs toujours équitable à l’égard du vrai mérite et des talents décidés. Il avait un grand nombre d’amis dans la littérature, et à la cour et à la ville. Il avait même des amis illustres. Quoiqu’il fût fort attaché à son cabinet, il ne laissait pas de les cultiver. Assez répandu dans le monde, il joignait à la qualité d’homme savant celle d’homme poli et sociable. Il était d’une complexion faible et délicate, et depuis quelques années ses maladies fréquentes alarmaient ses amis. Celle dont il est mort n’a été que de cinq jours.


Desfontaines réunissait, on ne saurait le nier, plusieurs des qualités qu’exige le rôle qu’il s’était attribué, mais il lui en manquait de fort importantes. Il ne connut pas ou négligea beaucoup trop ces formes agréables, ces tours délicats et polis, auxquels un censeur prudent a recours pour éviter que les conseils de la critique ne deviennent autant