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signifie guêpe) avait excité des transports d’admiration, que rien n’était échappé, et qu’on avait saisi tout l’esprit, tout le sel, toute la finesse des épigrammes d’araignée, de vipère, de coquin, de faquin, de fripon, etc., etc., etc.

Le Sénat, en récompense d’une si heureuse nouvelle, assura le messager qu’il releverait toutes ses pièces tombées, qu’il forcerait le public à les trouver nobles et touchantes, ou du moins qu’il les ferait jouer devant lui.

Au second, au troisième, au quatrième acte, nouveaux courriers, nouveaux avantages. Enfin le faible détachement du goût fut écrasé par la supériorité du nombre, et les barbares se virent maîtres du champ de bataille. L’armée victorieuse fit une marche forcée pour se rendre aux Tuileries, où elle déboucha par le pont Royal, au bruit des trompettes et des clairons[1]. Le Sénat Très-Philosophique fut dans un instant entouré des vainqueurs, couverts de sueur et de poussière. Tous parlaient en même temps ; tous s’écriaient : Triomphe ! victoire ! victoire complète !

Les Anciens leur imposèrent silence, et, après avoir embrassé deux fois leur habile général, ils voulurent apprendre de lui-même les particularités de l’action. Le vaillant Dortidius en fit le récit d’un style sublime, mais inintelligible. On eut recours au

  1. Allusion à mademoiselle Clairon, violente ennemie du journaliste, qui, un jour, voulut, elle aussi, se donner le plaisir de l’envoyer au Fort-l’Évêque. On lit dans la Correspondance de Grimm : « On dit que le vertueux Fréron, connu par son amour pour la vérité et son fanatisme pour les bonnes mœurs, en s’extasiant sur la sagesse de mademoiselle Doligny, dans son journal immortel, s’est laissé emporter un peu trop loin par sa ferveur pour la chasteté, et que le public a cru reconnaître, dans sa philippique contre les actrices qui vivent dans le désordre, les erreurs célèbres de la première jeunesse de mademoiselle Clairon. Ce qu’il y a de sûr, c’est que cette fameuse actrice s’est plainte du vertueux M. Fréron, et que ce digne panégyriste de la chasteté des actrices a été mis au Fort-l’Évêque pour avoir insulté mademoiselle Clairon. Qu’on se fasse, après cela, l’apôtre de la vertu ! L’expérience et la connaissance du siècle auraient du apprendre depuis longtemps au pauvre Wasp qu’il est plus sûr d’insulter M. de Voltaire, M. Diderot, M. d’Alembert, M. Helvétius, que de s’attaquer à une comédienne. » (1765) La nouvelle était prématurée. Voltaire, à qui elle était parvenue jusqu’à Ferney, en avait tressailli de joie : Absolvit nunc pœna deos ! s’était-il écrié. Mais sa joie fut trompée : Fréron ayant réussi à se soustraire au mandat d’arrêt lancé contre lui, fit agir ses protections auprès de la reine, qui obtint sa grâce. Heureusement pour nos journaux, petits et grands, que les artistes d’aujourd’hui sont moins susceptibles.