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petit prestolet, qui fut clair, mais plat. Ses yeux pétillaient d’allégresse. Cependant sa joie était mêlée d’un peu d’amertume : il regrettait qu’on eût mis Wasp à la place de Frélon ; il prétendait que ce dernier nom eût été bien plus plaisant ; il ne concevait pas pourquoi on l’avait supprimé ; il savait que l’auteur de l’Année littéraire lui-même avait demandé qu’on le laissât[1].

Le Sénat fut très-satisfait de tout ce qu’il venait d’entendre. Le général lui présenta la liste des guerriers qui s’étaient le plus distingués. Sur la lecture qui en fut faite à haute voix, on ordonna au petit prestolet de l’insérer en entier dans sa première gazette littéraire, avec de grands éloges pour chaque héros. Ensuite les sénateurs tendirent la main à l’un, sourirent agréablement à l’autre, promirent à celui-ci un exemplaire de leurs œuvres mêlées, à celui-là de le louer dans le premier ouvrage qu’ils feraient. À quelques-uns des places de courtier dans l’Encyclopédie, à tous des billets pour aller encore à l’Écossaise gratis, en leur recommandant de ne point s’endormir sur leurs lauriers et de continuer à bien faire leur devoir ; ils leur représentèrent qu’il était à craindre que la vigilance des ennemis ne profitât de leur inaction pour leur dérober le fruit de leur victoire.

Après ce discours éloquent et flatteur, le Sénat les congédia, et invita à souper le général et les principaux officiers. Avant le banquet, on tira un beau feu d’artifice. Il y eut grande chère, un excellent concert de musique italienne, un intermède exécuté par des bouffons, des illuminations à la façade de tous les hôtels des philosophes. Un bal philosophique, qui dura jusqu’à huit

  1. « Cette circonstance est très-vraie. Les comédiens sont témoins que je les ai priés de conserver le nom de Frélon, et même de mettre Fréron, s’ils croyaient que cela pût contribuer au succès de la pièce. Ils étaient assez portés à m’obliger ; apparemment qu’il n’a pas dépendu d’eux de me faire ce plaisir, et j’en suis très-fâché : notre théâtre aurait acquis une petite liberté honnête dont on aurait tiré un très-grand avantage pour la perfection de l’art dramatique. » (Note de l’Année littéraire.) — « La police, dit Grimm (15 août 1760), par délicatesse pour M. Fréron, a exigé ce changement, et cela fait un honneur infini à son amour pour le bon ordre. Cependant, le public ayant applaudi avec scandale le rôle de M. Wasp, et en ayant fait une application continuelle au faiseur de fouilles de Paris, a persuadé aux honnêtes gens que la police aurait pu, sans danger, pousser la sévérité un peu plus loin. »