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Je n’eus lieu que de m’applaudir, pendant plusieurs années, de cet arrangement ; mais l’officieux médiateur s’étant démis de cet emploi, un autre que je connaissais encore prit sa place. J’ignorais qu’il fût l’ami de mes ennemis. Ils lui firent part d’un moyen neuf et admirable qu’ils avaient imaginé pour dégoûter le public de mon ouvrage : c’était de me renvoyer tous mes articles un peu saillants, sans les faire voir au censeur, en me marquant que ce dernier leur refusait son approbation.

Cette heureuse idée fut merveilleusement remplie. Toutes les fois que, dans mes extraits, je m’avisais de m’égayer aux dépens de quelque grand ou petit philosophe, le nouveau facteur me les rendait, et ne manquait pas de me dire d’un air touché que le censeur ne voulait pas en entendre parler.


Et le pauvre journaliste était obligé de refaire ces articles on d’en composer d’autres, qui se ressentaient nécessairement de la précipitation qu’il était obligé d’y mettre pour que ses feuilles parussent au jour fixé.


… Ce cruel manége a duré près de quatre ans. Enfin j’y soupçonnais quelque mystère ; il ne me paraissait pas naturel qu’il y eût en France un censeur assez déraisonnable pour condamner des critiques quelquefois un peu vives, à la vérité, mais toujours renfermées dans les bornes prescrites. Je confiai ma pensée au magistrat sage, honnête, intègre autant qu’éclairé, qui, sous les ordres de M. le chancelier, veille aujourd’hui sur le département de la librairie. Il daigna m’écouter avec intérêt, et promit de me rendre justice. Je lui laissai tous les articles qu’on avait impitoyablement prescrits. Il les fit passer à mon censeur, accompagnés d’une lettre par laquelle il lui demandait pourquoi il ne les avait pas approuvés. Le lendemain le censeur rapporta les articles au magistrat, en lui protestant que jamais on ne les lui avait envoyés, que c’était pour la première fois qu’il les avait lus, et qu’il n’y trouvait rien qui parût devoir en empêcher l’im-