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titre et l’importance de sa mission, fut reçu de très-mauvaise grâce par la princesse auprès de laquelle il se rendit en grande hâte ; il se présentait, en effet, avec une joue enflée par une fluxion. Un diplomate vieilli dans le métier aurait pu prendre plus d’une vengeance sérieuse ; le chevalier de Boufflers, d’abord abbé et puis hussard, aima mieux tourner de jolis vers que de jouer de mauvais tours, et rima gaîment sa mésaventure.

J’avais une joue enflée.
La princesse boursoufflée,
Au lieu d’une en avait deux ;
Et Son Altesse sauvage
Parut trouver très-mauvais
Que j’eusse sur mon visage
La moitié de ses attraits.


On avait partout appris ces vers aussitôt qu’ils circulèrent en manuscrit ou en l’air ; et s’il n’était bon à rien qu’ils fussent insérés dans le Journal de Paris, cela était aussi au moins indifférent pour son altesse allemande.

Cependant sa colère fut grande, et il fallut bien que la cour de France la partageât. On ne dit rien au poète, qui ne pouvait pas être anonyme, quoiqu’il ne se nommât point, et on voulut punir les propriétaires et les éditeurs du Journal de Paris. On eut un instant l’idée de l’ôter à ses fondateurs et à ses propriétaires pour le donner à M. Suard, à qui il aurait valu vingt ou vingt cinq mille francs. Le gouvernement ne respectait si peu ce genre de propriété que parce que tout le monde alors ignorait en France qu’un papier public, fondé sur un privilége du roi, pût être une propriété particulière, M. Suard apprit à tous qu’elle est la plus légitime, la plus sacrée de toutes, puisqu’elle est composée des facultés de l’esprit et de l’âme de ses auteurs. Il prit la défense de ceux dont on lui offrait la fortune ; il ne la leur conserva pas seulement, le premier de tous il la fit reconnaître pour une propriété aussi inviolable au moins que la propriété des terres. Il fit de ce principe, dont la lumière s’étend si loin, la règle d’un