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pouvoir prononcer qu’avec fureur des noms que l’on prononce partout avec enthousiasme, de poursuivre toujours de si loin des hommes qui s’avancent à pas de géant dans la carrière de la gloire, et de combattre avec une voix faible et impuissante la renommée, qui répond avec ses cent voix ? Convenez, Monsieur, que Gravina a eu bien raison de dire que l’envieux n’est jamais libre, mais qu’il est l’esclave du génie, qui le traîne partout sur ses pas.

Vous daignez me parler, Monsieur, des obstacles et des chagrins de toute espèce que mes ennemis m’ont suscités. Il est vrai qu’ils m’ont poursuivi avec un acharnement qui ne s’est pas démenti, depuis Warvic jusqu’à l’Éloge de Fénelon. Je sais qu’ils se flattaient de parvenir à me décourager entièrement, et qu’ils s’en sont même vantés. Mais si tel était leur dessein, ils ont bien mal réussi. Leurs emportements et leurs excès n’ont servi qu’à intéresser en ma faveur ce public honnête et impartial qui s’indigne de la persécution et de l’injustice. Ce public a été révolté du projet si odieux et si manifeste d’étouffer un jeune homme qui n’opposait à la fureur de ses ennemis qu’une conduite irréprochable, le courage, le travail, et des ouvrages où les âmes bien nées aiment à retrouver leurs sentiments et leurs principes. Il m’a pardonné quelques productions précipitées qui échappent à la première effervescence de la jeunesse, en faveur des efforts qu’il m’a vu faire pour lui offrir des écrits mieux conçus et plus travaillés. Enfin, accueilli dès mes premiers pas par tout ce que la nation a de plus illustre dans tous les genres, honoré du suffrage public des principaux membres de l’Académie et de la littérature, honoré surtout du vôtre et de votre amitié constante, je marche avec fermeté dans cette pénible route où l’on me préparait tant d’écueils. Votre voix m’y soutient encore. Puisse-t-elle s’y faire entendre longtemps ! Puisse le Sophocle des Français finir comme le Sophocle des Grecs, par un chef-d’œuvre et finir plus tard que lui !